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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/668

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la classe des travailleurs est toujours trop restreinte pour les besoins du pays et que l’émigration y fournit à peine, celle des spéculateurs pullule et excède toujours les besoins vrais du commerce. Voyez ce type ordinaire du commerçant nomade, homme sec, maigre, osseux, ridé, maladif, dont l’œil semble toujours absorbé dans des calculs financiers. C’est là le vrai Yankee. Ne lui imposez pas d’autre métier : il est actif plutôt que laborieux. Il sait courir le monde, songer à vingt affaires à la fois, débrouiller l’écheveau d’un négoce multiple et embarrassé ; mais il laisse aux étrangers, aux Allemands, aux Irlandais, aux Canadiens, les travaux rudes et manuels. Lui-même se vante de ne travailler que de la tête et de faire mouvoir ces machines grossières sans même lever le bout du doigt. J’avais déjà observé au Canada l’inégale répartition du travail entre les deux races. Le Yankee, revenu de ses promenades commerciales, s’assied dans son bureau ou dans sa boutique, la chique à la bouche, un journal à la main et les jambes en l’air, attendant le chaland avec une nonchalance royale et causant politique avec les hommes d’état du voisinage. Le soir, il va au café jouer sa partie de billard et prendre son punch. Pour quelques commerçans sérieux, combien de ces trafiquans parasites qui donnent aux affaires l’allure incertaine du jeu, et qui sont les dignes pendans de notre bourgeoisie rentière, comme elle consommateurs qui ne rendent pas ce qu’ils ont dépensé ! Ils ne sont pourtant pas inutiles : ils donnent de l’activité aux transactions, du mouvement aux capitaux. Enfin la nature n’est pas encore lasse de fournir chaque jour un aliment nouveau à ces foyers dévorans : c’est la véritable cause de leur succès. On attribue au bienfait de la démocratie la grande facilité de s’enrichir que trouvent ici les hommes entreprenans. Il est vrai qu’en distribuant également l’éducation sur tout le peuple, elle met sur la même ligne les concurrens qui se disputent la fortune, elle abaisse ces barrières morales qui ferment encore, ou du moins rendent difficile chez nous l’entrée de la carrière ; mais la grande raison de cette aisance générale, c’est l’abondance naturelle qui convie tout le monde à la curée. Supposez en Amérique toutes les terres occupées, toutes les mines exploitées, toutes les campagnes peuplées comme les nôtres ; prévoyez un instant l’Amérique de l’an 2000, et dites-moi si vous la voyez encore aussi riche et aussi active qu’à présent.

En somme, le caractère des peuples dépend des circonstances où la nature et leur passé les placent. Je ne fais pas reproche au peuple américain d’être spéculateur, pas plus qu’au peuple français de s’endormir volontiers sur les revenus tranquilles d’un capital inamovible. Comment les Américains ne seraient-ils pas avides ? Comment