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des incursions des pirates de Cilicie sept cent soixante ans juste avant l’armement de Mousa. La guerre des pirates est un des plus incroyables épisodes de l’histoire romaine. La marine grecque, la marine de Carthage, celle de Syrie et celle d’Égypte, celle de Mithridate, avaient partout cédé à la puissance des Romains. C’est à ce moment que d’audacieux pirates, cachés sur les côtes de la Cilicie, balancèrent la fortune romaine et devinrent les maîtres de la Méditerranée. Les biographies des Romains de cette époque (de 77 à 67 avant Jésus-Christ) sont pleines des aventures que la piraterie causait aux plus grands personnages de Rome : , ils prirent César, qui leur paya rançon. « Quel lieu, dit Cicéron, assez fortifié et assez défendu pour être à l’abri des armes de ces pirates, ou assez caché pour échapper à leurs incursions ?… Rappellerai-je la prise de Colophon et de Samos, et de tant d’autres villes considérables, quand les ports même dont vous tirez votre vie et votre nourriture sont tombés au pouvoir des pirates ? Ne savez-vous plus l’histoire de Gaëte et de son port plein de vaisseaux pillé par les corsaires sous les yeux d’un préteur ? et de Misène, où ils ont enlevé les enfans du consul qui les avait combattus à Misène même ? et d’Ostie enfin, du malheur et de la honte d’Ostie, quand sous vos yeux mêmes, et à deux pas de Rome, la flotte que commandait un consul romain a été prise et détruite par les pirates[1] ? » Gaëte, Misène, Ostie, tous ces lieux désolés, au temps même de la grandeur romaine, par les incursions des corsaires de Cilicie, je les retrouve dans l’histoire des incursions des Sarrasins aux VIIIe et IXe siècles de l’ère chrétienne. Cette ville d’Ostie, que M. de Visconti est en train de faire sortir de ses ruines, grâce à la libéralité intelligente du pape, ce sont les Sarrasins qui l’ont ravagée et détruite en 846. Gaëte, qui de nos jours a eu un instant historique, était, au IXe siècle, une petite république qui avait ses soldats et ses vassaux ; elle avait plusieurs fois battu les musulmans, plus heureuse ou plus courageuse que ne l’avait été l’ancienne Gaëte, aux derniers jours de la république romaine. Lorsque je voyais sur les bords du golfe de Salerne ces tours placées de distance en distance et destinées à défendre le pays contre les incursions des Sarrasins d’abord et des Barbaresques plus tard, ou bien lorsque je découvrais dans le pli caché de quelque vallée étroite s’ouvrant sur le rivage un petit hameau inattendu que de la mer on ne pouvait pas soupçonner, je me redisais malgré moi les paroles de Cicéron en pensant aux incursions du IXe et du Xe siècle : Quis toto mari locus per hos annos mit tam firmum habuit prœsidium ut tutus esset ? Aut tam fuit abditus ut lateret ?

Quant à ces captivités soudaines qui affligeaient les familles,

  1. Pro legs Manilia, ch. XI et XII.