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(1453), je me prends à croire que la durée de cet empire, plus longue que celle de beaucoup de grands états célèbres dans l’histoire, ne peut pas s’expliquer seulement par les lenteurs de l’agonie et les délais de la mort. Je suis même persuadé qu’à mesure qu’on étudiera de plus près l’histoire du bas-empire, nous verrons tomber les préjugés que nous avons contre les Byzantins, contre ce vieux boulevard de la chrétienté en Orient. Ces préjugés nous viennent des rancunes des croisés et de la haine qui divisait l’église grecque et l’église latine.

Les Byzantins ont rendu à l’Europe un grand service : ils ont défendu l’Europe orientale et méridionale contre la première invasion du mahométisme. Sans doute ils n’ont pas pu arrêter partout le torrent, ils ont été forcés d’abandonner l’Afrique, l’Égypte, la Syrie, une partie de l’Asie-Mineure, et en Europe l’Espagne et la Sicile ; mais ils ont lutté tout en reculant, et l’Europe a profité de leur résistance. Il suffit, pour comprendre le service que le bas-empire a rendu à l’Europe, de comparer la première invasion mahométane, celle des Arabes ou Sarrasins, avec la seconde, celle des Turcs. Les Turcs, après la chute de l’empire grec, se sont avancés en Europe jusqu’à Vienne ; ils ont envahi tout l’Archipel et menacé sans cesse l’Italie. Nos dangers après 1453 montrent quelle était l’utilité des remparts que nous avons laissés tomber.

Oserai-je ajouter que l’empire grec de Constantinople, ou tout au moins l’indépendance des populations chrétiennes en Orient, à Athènes, à Thessalonique, à Smyrne, à Chio, en Crète, en Chypre, est une des conditions de la prospérité de l’Orient et de la sécurité de l’Europe ? À Dieu ne plaise que je revienne ici sur des idées que j’ai souvent essayé de développer dans la Revue ; mais je suis chaque jour plus profondément convaincu que l’Europe s’est posé en Orient un problème qu’elle ne pourra pas résoudre. Ce problème est le suivant : continuer d’une part l’empire turc, parce que politiquement il est le gardien le meilleur, c’est-à-dire le plus inutile, de l’Orient, et d’autre part ne point consentir à la destruction des populations chrétiennes, qui sont en train de devenir les possesseurs utiles de l’Orient. Je sais bien que l’histoire de l’humanité s’accommode fort bien des inconséquences ; mais celle-ci est une inconséquence progressive qui marche vers l’état de difficulté insoluble.

Faisons rapidement pour les Grecs ce que nous avons fait pour les Lombards de Bénévent et de Salerne, et indiquons la part qu’ils ont prise à la lutte contre les musulmans.

Quiconque est malheureux est soupçonneux. Les empereurs de Constantinople, sentant que les provinces de leur empire étaient prêtes à leur échapper l’une après l’autre, les soupçonnaient sans