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lui l’évêque Procope, qui avait exhorté ses compatriotes à se défendre courageusement contre les musulmans. « Tes cheveux blancs, lui dit-il, m’invitent à te parler avec un esprit de paix. Si en même temps ils te rendent sage, abjure la foi chrétienne, tu sauveras ta vie, celle de tous ces prisonniers qui t’environnent, et je te mettrai dans un tel rang que tu seras, après moi, le second de la Sicile. » Procope sourit sans répondre. « Ne sais-tu pas quel est celui qui te parle ? — Si, répliqua Procope, c’est le démon qui me parle par ta bouche, et voilà pourquoi je ris. » Alors Ibrahim, se tournant vers les bourreaux : « Ouvrez-lui la poitrine, dit-il, et arrachez-lui le cœur ; je veux y chercher le secret de son orgueil. » Un chroniqueur prétend même que, dans sa fureur et en grinçant des dents, il voulait manger ce cœur : autre opinion étrange et digne d’Ibrahim, qu’à manger le cœur d’un brave on s’en approprie le courage[1].

Les Byzantins, en perdant Syracuse, perdaient la capitale de la partie de la Sicile qui était restée grecque. C’était un grave échec ; mais, comme ils avaient une marine puissante, ils désolaient par leurs prises le commerce des musulmans. Ils avaient en même temps reconquis la supériorité dans la Pouille et dans la Calabre, d’où ils avaient chassé les musulmans. Constantinople avait alors en Italie un général habile et brave, Nicéphore Phocas, qui fut l’aïeul de l’empereur Phocas. Ce n’était pas seulement un bon capitaine, c’était un guerrier généreux et qui tâchait de rendre la guerre moins cruelle qu’elle ne l’était alors. Un des plus grands fléaux de la guerre à cette époque, c’était la vente des prisonniers de guerre comme esclaves. En Italie, l’armée byzantine avait fait beaucoup de prisonniers, non-seulement parmi les musulmans, qu’elle avait vaincus, mais parmi les Italiens, qu’elle prétendait avoir délivrés du joug mahométan. Rappelée d’Italie pour aller défendre l’Asie-Mineure, l’armée byzantine, prête à s’embarquer à Brindes, traînait derrière elle ces bandes de prisonniers qu’elle comptait, vendre à Constantinople au marché des esclaves ; c’était sa plus grosse part de butin. Nicéphore ordonna que les soldats s’embarquassent avant les prisonniers ; quand ils furent embarqués, il commanda de mettre à la voile et fit annoncer aux prisonniers qu’ils étaient libres. Les Italiens reconnaissans bâtirent sur le rivage une église dédiée à saint Nicéphore, au patron de leur libérateur, en mémoire de sa générosité et des services qu’il avait rendus à l’Italie pendant son gouvernement en traitant bien les sujets de l’empire et en allégeant le poids des impôts.

Heureuse la cour de Byzance, plus heureuse encore l’Italie

  1. Amari, t. II, p. 84.