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désormais le pays. » Telle est la fable qui se raconte en Kabylie[1], et certes dans l’étude des peuples primitifs on se complairait volontiers à la recherche de ces légendes qui parfois sous une poésie fantastique cachent une lueur de vérité précieuse. Mais à chaque peuple son caractère. Il n’est peut-être point de pays moins fécond en légendes que le pays kabyle. L’esprit positif de la race a peu de goût pour la fable, et la légende que nous citons pourrait bien avoir été forgée par quelque marabout malin sur les données mythologiques du roi Atlas et du géant Antée. Au reste qu’est-il besoin d’un berceau légendaire qui se perde dans la nuit des temps ? Si l’on peut reconnaître nos Kabyles dans les Quinquegentiens de l’époque romaine, leur antiquité restera encore suffisamment respectable.

Seul parmi les chroniqueurs, Ammien Marcellin a laissé des cinq tribus unies une énumération complète. Il les divise en Tendenses, Massissenses, Isaflenses, Jubaleni, Jesalenses. Trois de ces peuplades, par le nom ou la position que l’historien leur assigne, se reconnaissent dans des tribus existantes : l’homonymie des Massissenses avec les Imsissen ou Msisnas, riverains de l’Oued-Sahel, n’est pas moins frappante que celle des Isaflenses avec nos Illissen ou Flissas de la Grande-Kabylie. En plaçant les Jubaleni au milieu des cimes les plus inaccessibles de la Montagne-de-Fer, Ammien indique nettement le pays actuel de la confédération zouavienne ; mais, si leur nom s’est perdu sur le territoire des Zouaouas, il vit encore dans celui d’une tribu puissante des environs de Bougie, les Beni-Jubar, dont Marmol a beaucoup vanté le courage et l’esprit d’indépendance. Julius Honorius, auteur d’une Cosmographie citée par Cassiodore, donne pour voisins aux Quinquegentiens les Abennes et les Baouares. Or l’identité des noms de Baouares et de Babors est devenue chose acceptée des archéologues. Quant aux Abennes, une fraction de la tribu djurdjurienne des Aït-Boudrar porte aujourd’hui même leur nom et habite près du col appelé col des Aït-Aben[2]. Si, quittant la montagne proprement dite, nous parcourons sur les cartes latines le littoral kabyle entre Bougie et Dellys, nos yeux

  1. Elle a été recueillie par le capitaine de zouaves Devaux, un infatigable travailleur en matière kabyle, mort trop tôt, mais mort dans Puebla, au champ d’honneur.
  2. Il y a plus : une très ingénieuse explication duc à M. le colonel Hanoteau propose de rattacher les dénominations actuelles de Zousoua et de Aït-Abès à une origine également ancienne : l’Oued-Sahel en effet reçoit dans Ptolémée la double appellation de flumen, Nasaoua et flumen Nasabath. En séparant la particule n, qui, en langue kabyle, caractérise le génitif, on décompose sans peine flumen Nasaoua en flumen n as Aoua, c’est-à-dire fleuve des As-Aoua (équivalent kabyle du mot zouaoua), puis flumen Nasabath en flumen n as Abath, c’est-à-dire fleuve des As-Abath (équivalent kabyle du mot aït abès) ; voilà donc rendue à l’Oued-Sahel sa naturelle signification de rivière des Zouaouas, rivière des Aït-Abès, nom que cette dernière tribu n’a jamais cessé de lui maintenir.