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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/924

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États-Unis malgré toutes les décisions des lois locales, mais elle évoque directement devant elle certaines affaires qui ne pourraient être soumises à la justice locale ; elle juge tous les procès qui s’élèvent entre des particuliers d’états différens. Enfin elle juge les états entre eux[1]. Elle interprète non pas seulement les lois du congrès, mais encore la constitution, dont elle est gardienne : pouvoir énorme et qui amène à son tribunal tous ces graves débats de souveraineté, de suprématie, d’attributions réciproques, qui ne peuvent manquer de troubler une république fédérative. La cour suprême de Washington se trouve par la mêlée à la politique active et obligée de prendre parti sur toutes les grandes questions du jour ; elle est en un mot l’arbitre officiel de cette grande querelle des states rights qui se vide aujourd’hui par la guerre civile.

Nous comprenons difficilement le rôle immense du pouvoir judiciaire dans le jeu des institutions américaines, ce rôle à la fois conservateur et libéral, qui, tout en maintenant l’équilibre et la hiérarchie des pouvoirs, offre aux libertés individuelles des garanties si puissantes qu’il n’en existe nulle part de semblables. Il fallait la forme du gouvernement fédératif pour que l’autorité judiciaire prît cette importance dont on ne se fait aucune idée dans nos sociétés unitaires et nos gouvernemens centralisés. Chez nous, toutes les lois émanent d’un seul et même pouvoir, déguisé sous des noms divers : elles forment un ensemble unique, homogène, et ne veulent jamais se démentir. Il y a bien dans la constitution certains principes généraux qui ne sont pas toujours d’accord, mais ce sont là des ornemens en quelque sorte purement extérieurs. Allez donc invoquer devant un juge de paix les principes de 89 inscrits dans la constitution ; allez protester au nom de la constitution contre l’arrêté d’un préfet ; allez, si vous êtes habitant de Paris ou de Lyon, refuser au nom des principes de 89 l’impôt que n’ont pas voté vos mandataires ; allez enfin nier la validité d’un article du code civil ou criminel parce qu’il est contraire à la constitution !… Dans l’application, la loi de détail prend le pas sur la loi générale, et il n’est pas jusqu’aux juridictions suprêmes, celles qui doivent interpréter la loi dans son sens le plus large, qui ne préfèrent le moindre règlement d’un commissaire de police ou d’un maire aux principes abstraits de la constitution.

Il n’en est pas de même en Amérique. La constitution des États-Unis est véritablement la loi suprême, celle qui domine toutes les autres lois. Elle ne s’enveloppe pas dans les nuages d’une majesté

  1. Elle jugeait, à l’origine, les procès intentés à un état par les particuliers des autres états ; mais le onzième amendement à la constitution, voté sous l’influence des démocrates, stipule que les états ne peuvent plus être nominalement poursuivis devant la cour suprême.