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ment confondus avec le reste de la population; mais il n’en est pas de même dans le Hedjaz, où l’un d’eux a le privilège d’exercer les fonctions de grand-chérif, qui se transmettent d’ordinaire de père en fils. Depuis la conquête de l’Égypte par Sélim en 1517, la prière est dite pour le sultan des Turcs le vendredi dans les mosquées, et un cadi est envoyé de Constantinople à La Mecque, car le pouvoir du grand-chérif est purement temporel. Le sultan confirme dans le grand-chérifat celui que sa naissance et, dans une certaine mesure, l’assentiment des autres chérifs ont amené à cette haute position; il lui envoie chaque année une pelisse d’investiture. La Porte entretient aussi un pacha et un cadi à Djeddah; mais le vrai maître du Hedjaz était jusqu’au commencement de ce siècle le grand-chérif, qui percevait les impôts et en transmettait seulement une partie à Constantinople. Ordinairement le pacha ne pouvait venir à son poste qu’escorté par la caravane. La Porte profitait quelquefois de la présence des pèlerins pour changer le grand-chérif; mais la pression turque cessait dès que la caravane était partie.

Au moment où les wahabites se répandirent en dehors du Nedjd, la dignité de grand-chérif était occupée depuis 1786 par Ghaleb, fils de Messad. Les Égyptiens arrivèrent bientôt après dans le Hedjaz et furent bien accueillis par Ghaleb, qui contribua même à l’expulsion des wahabites. La bonne harmonie paraissait régner entre les nouveaux conquérans et l’ancienne autorité locale. Cependant Méhémet-Ali, grand niveleur et grand centralisateur, tenait à abaisser le pouvoir héréditaire des grands-chérifs. A l’aide d’une trahison, il se saisit de Ghaleb, qui, par ses qualités personnelles, par ses richesses et par le principe qu’il représentait, exerçait un grand prestige sur les Arabes. Envoyé en exil, le chérif mourut à Salonique en 1816. On l’avait remplacé par un de ses parens, nommé Yayah, qui ne fut plus, comme ses successeurs, qu’un fonctionnaire salarié. Cependant il ne finit pas non plus ses jours sur le siège chérifal. En 1831, il avait assassiné dans le temple même de la Kaaba, à coups de poignard son neveu, qui lui était devenu suspect à cause de son intimité avec le gouverneur égyptien. Méhémet-Ali s’empressa d’investir du grand-chérifat un autre descendant du prophète, nommé Ibn-Aoun, issu d’une famille à qui le siège chérifal, à ce qu’il parait, n’a jamais appartenu. Assiégé dans Taïf, l’ancien grand-chérif Yayah voulut s’échapper, et tomba dans un gros de cavalerie égyptienne qui le fit prisonnier. Conduit au Caire, il y mourut en 1838. Ibn-Aoun fut installé comme grand-chérif.

Ibn-Aoun ne jouit pas paisiblement de son usurpation. En 1836, il fut soupçonné d’avoir contribué à une défaite que les troupes égyptiennes essuyèrent dans le pays d’Acyr. Il venait d’épouser