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mesure était déjà en pleine exécution avant même qu’elle eût été dénoncée officiellement à ceux qu’elle pouvait intéresser. Ce n’est qu’en 1831 que les ambassadeurs des diverses puissances résidant à Constantinople eurent connaissance du règlement par lequel la Russie avait frappé d’interdit le littoral tcherkesse. Ils en donnèrent avis en particulier aux consuls placés sous leurs ordres en les invitant à transmettre cette communication par voie officieuse à ceux de leurs nationaux engagés dans le commerce de la Mer-Noire. En vertu de quel droit la Russie avait-elle décrété une pareille mesure ? Sur quels titres se fondaient ses prétentions à la propriété exclusive du territoire tcherkesse ? Pour le cabinet de Saint-Pétersbourg, ce droit découlait des stipulations du traité d’Andrinople, dont l’article 4 lui assurait la cession de toute la côte comprise entre l’embouchure du Kouban et le port Saint-Nicolas, jusqu’aux confins de la Mingrélie. À ces prétentions, le gouvernement anglais opposa une fin de non-recevoir en contestant la validité de cette cession. Les jurisconsultes de la couronne, consultés, décidèrent que le blocus russe était illégal, que c’était une violation du droit public européen. Ils s’appuyaient sur ce fait, que, les Tcherkesses étant une nation indépendante et sui juris, le sultan n’avait pu, sans leur consentement, les livrer corps et biens à la Russie ; ils soutenaient que cette cession était nulle, n’engageait à rien les tiers, étrangers aux conventions d’Andrinople, que ces peuples, ayant capacité pour faire tous les actes de souveraineté, étaient maîtres d’entretenir des relations et de traiter avec qui bon leur semblerait, et qu’ainsi l’accès de leur pays était de droit commun et ouvert à tous ceux qu’ils jugeraient à propos d’y admettre. Pour donner plus de poids à cette décision et une sanction en quelque sorte définitive, un bâtiment de commerce, le Vixen, fut équipé, chargé de sel et confié à la direction de M. Bell, négociant anglais de Bucharest. Sa mission était d’établir des rapports de commerce avec la Circassie. L’entreprise fut patronnée et subventionnée par les hommes les plus considérables de l’Angleterre et par le roi lui-même[1]. Il paraît en effet que George IV, qui en avait conçu l’idée ou du moins qui avait adopté cette idée avec chaleur, après avoir entendu M. Bell, consulta le ministre des affaires étrangères sur la question de légalité. La réponse de lord Palmerston fut affirmative et laissa ignorer au roi l’existence du règlement prohibitif. Dans l’intervalle, l’ambassadeur russe à Londres fit connaître d’une manière officielle ce règlement ; mais le Vixen avait déjà pris la mer et se dirigeait sur Constantinople. M. Bell, continuant son chemin sans obstacle, alla jeter l’ancre

  1. The Circassian war as bearing on the Polish insurrection, p. 43.