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prises de nouveau par les montagnards. Les Russes ne conservèrent qu’Anapa et Soukhoum, et durent même se borner à s’y maintenir sur la défensive. L’heure de marcher en avant n’avait pas encore sonné.

Sur le revers opposé de la chaîne, en descendant jusqu’aux rives du Kouban, une partie des populations tcherkesses vivait renfermée dans l’intérieur du coude formé par le cordon militaire, qui se prolonge depuis ce fleuve jusqu’au mont Elbrouz. Les expéditions dirigées contre ces tribus pendant une longue suite d’années n’eurent d’autre objet que de les contenir dans ces limites. Elles étaient exécutées d’après le plan stratégique adopté alors dans tout le Caucase. On entrait en campagne contre une tribu que l’on se proposait de soumettre, de ramener à l’obéissance en cas de révolte, ou de châtier pour quelque acte de brigandage, comme maraude, pillage de convois, enlèvement de soldats. Ces expéditions, qui n’avaient lieu qu’en été, n’étaient en réalité que de grandes razzias, souvent heureuses, signalées souvent par de brillans faits d’armes qui profitaient à la réputation ou à la fortune de ceux qui les dirigeaient, mais dont les résultats répondaient rarement aux sacrifices d’hommes et d’argent qu’elles avaient coûtés. On s’avançait à grand fracas contre un aoûl fortifié et de difficile accès ; on l’emportait au prix des plus pénibles et des plus héroïques efforts, on le saccageait et on le livrait aux flammes ; les habitans étaient dispersés ou faits prisonniers, les moissons et les amas de fourrage incendiés : l’œuvre de destruction ne laissait rien sur pied. A peine cependant les troupes s’étaient-elles retirées que les montagnards, accourant de nouveau, rebâtissaient promptement et à peu de frais leurs habitations sur le même emplacement ou dans le voisinage ; bientôt toute trace de dévastation avait disparu, les lieux reprenaient leur aspect accoutumé, et pour le vainqueur tout était à recommencer l’année suivante.

À ce système vicieux d’opérations, M. le comte Séménovitch Vorontzof, nommé lieutenant de l’empereur au Caucase en 1849, militaire expérimenté et d’un grand talent, substitua un système mieux approprié à cette guerre de montagnes. Ce système fut appliqué dans la suite sur une plus large échelle par le successeur du comte Vorontzof, le prince Bariatinskii, et le succès final en a démontré l’efficacité. Il consistait à avancer pas à pas, avec une lenteur calculée, à attaquer un point déterminé, et, ce point une fois occupé à s’y maintenir en élevant un fort ou un blockhaus. Chacun de ces points ainsi fortifiés se reliait à un ensemble de postes établis sur le même modèle, échelonnés sur une ligne ayant pour direction et pour appui l’un des principaux cours d’eau. C’est ainsi que furent créées dans le Caucase occidental les lignes stratégiques de la Laba,