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sans coup férir avec armes et bagages. Peu de temps après, le pacha conclut la paix avec le chef arabe, lui fit à Djeddah une réception honorable, et traita avec lui pour l’établissement à Rabegh d’une petite forteresse destinée à protéger le dépôt des vivres. Cette construction terminée, le cheik Roumi se rendit auprès du pacha pour réclamer le prix du terrain. Kourdi-Osman, l’un des chefs militaires au service de la Porte, ayant été nommé alors gouverneur de Rabegh, partit avec sa cavalerie, accompagné du cheik Roumi, pour régler cette affaire sur les lieux. Arrivé à Koulays, il fit dresser ses tentes à une demi-heure du village et préparer un banquet où furent invités le cheik et ses frères. Le repas terminé, Kourdi-Osman sortit de la tente qui abritait les convives, tandis qu’un bouffon les égayait de ses lazzis et dansait devant eux un sabre nu à la main ; mais à peine Kourdi-Osman était-il hors de la tente, qu’il donnait à ses soldats en langue kurde le signal du massacre. À l’instant même, un coup de sabre tomba sur la tête du cheik Roumi, qui put à peine articuler ces mots : « Encore une trahison turque ! » car il reçut dans la poitrine une balle qui l’étendit raide mort. Au dehors, les soldats ayant coupé à la fois toutes les cordes de la tente, les Bédouins, qui se trouvaient pris comme dans un filet, furent criblés de balles par des décharges réitérées. Un des frères de Roumi, d’autres disent un esclave, parvint cependant à se dégager, tua un bachi-bozouk et blessa grièvement deux soldats avant de succomber. Un autre frère du cheik, un enfant de douze ans, s’étant fait un rempart des coffres qui se trouvaient dans la tente, n’avait reçu aucune blessure ; mais, lorsqu’il sortit pour prendre la fuite, il fut saisi et eut la tête coupée comme ses aînés. Pas un Bédouin ne réussit à s’échapper ; les têtes des principaux furent exposées à La Mecque ; on forma des chapelets avec les nez et les oreilles.

Au mois de mars 1845, un régiment de troupes régulières arriva pour la première fois à Djeddah. Toutefois le représentant de la Porte n’était pas encore parvenu, cinq ans après, à dominer réellement le pays. Ainsi en 1850 les tribus qui entourent Médine s’étaient soulevées, poussées à bout par les exactions des agens inférieurs la troupe qui fut envoyée de Djeddah contre elles n’en put venir à bout ; le pacha fut obligé de payer aux Arabes le tribut accoutumé, sans que cette concession eût réussi beaucoup mieux que la force à établir la sécurité dans le voisinage des villes saintes. Cependant la Porte ne devait pas tarder à frapper un plus grand coup au foyer même de cette féodalité héréditaire, à laquelle elle a déclaré la guerre dans tout l’empire. Déjà une garnison turque avait été établie à La Mecque, contrairement à d’anciens privilèges, vio-