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l’armée du vice-roi les bachi-bozouks du Hedjaz. Cette complaisance ne lui valut pas son retour en grâce; mais lorsque les troupes de Méhémet-Ali se retirèrent de l’Arabie à la suite des événemens de 1840, Ibn-Aoun alla reprendre possession du siège chérifal, et il fut pendant quelque temps le seul maître du Hedjaz.

Que serait devenue cette domination indigène, si elle fût restée abandonnée à elle-même? Aurait-elle maintenu l’espèce d’ordre et d’autorité compatible avec la vie des tribus? serait-elle tombée dans l’anarchie si chère aux Arabes? Elle s’annonçait sous les couleurs les plus riantes. Les tribus avaient accueilli avec sympathie un pouvoir qui avait à leurs yeux le mérite de tirer son origine de la religion, de rester pur de tout élément étranger, et de ne pas peser assez sur elles pour contrarier leurs habitudes d’indépendance, de petite guerre et de pillage. Élevés parmi les Bédouins. les grands-chérifs ont toujours tenu à se les attacher. Si l’on ajoute que le retour d’Ibn-Aoun mettait fin à la domination impatiemment supportée des Égyptiens, on s’expliquera ce qui arriva alors. Les tribus établies autour de Médine avaient résisté à Méhémet-Ali comme aux wahabites; elles se soumirent. La paix se fit presque d’elle-même entre l’El-Haram et l’état d’Acyr, dont les frontières furent délimitées. Enfin vingt mille Bédouins se réunirent à La Mecque pour les cérémonies du courban-beïram, invités par le grand-chérif et sous sa responsabilité. Les partisans de toutes les sectes y accomplirent paisiblement leur pèlerinage.

La Porte rentrait, par la retraite des Égyptiens, en possession du Hedjaz. Elle y envoya un gouverneur-général, dont la résidence était à Djeddah. Ibn-Aoun, quoiqu’il eût été installé par Méhémet-Ali aux dépens du grand-chérif légitime Moutaleb, son cousin, fut confirmé par le sultan. Le pacha de Djeddah était le supérieur du grand-chérif et le vrai représentant de la Turquie dans le Hedjaz; mais son autorité ne s’exerça d’abord que dans l’enceinte de la ville où il résidait. Il travailla bientôt à l’étendre, et ses successeurs l’imitèrent en employant tour à tour la ruse ou la force.

J’extrais d’une lettre écrite de Djeddah à cette époque le récit d’un des premiers actes de cette déplorable politique. Dans le courant de l’année 1844, le cheik Roumi, qui commandait une fraction importante de la grande tribu des Harb, s’était mis en état d’insurrection par suite du refus qu’avait fait le gouverneur de reconnaitre ses créances sur le trésor public. Il se borna toutefois à faire évacuer Rabegh, une petite ville occupée par un corps de troupes ottomanes, et à s’emparer d’un magasin de vivres établi sur ce point pour les besoins des caravanes. Les Turcs, qui n’étaient point en force, profitèrent de la permission qu’il leur donna de se retirer