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Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/984

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minence d’un péril commun avait rapproché les Oubykhs et les Abadzekhs. Un des leurs, le brave Ismaïl-Pacha, venu à leur secours de Constantinople avec quatre canons rayés, les encourageait à la résistance en leur annonçant l’arrivée d’un corps d’auxiliaires européens. Entre la Pschekha et le Schips, deux affluons du Kouban, s’ouvrait une vallée profonde, boisée et de difficile accès ; les Oubykhs s’y jetèrent et en fortifièrent les avenues par des batteries dressées, sous la direction de leurs auxiliaires, suivant toutes les règles de l’art militaire. Cernés dans cette vallée par les généraux Grabbe et Heymann, ils soutinrent pendant quelques jours de rudes assauts. Enfin, accablés par le nombre, ils battirent en retraite, mais en faisant bonne contenance ; ils réussirent à sauver leurs canons, qu’ils emportèrent et mirent en sûreté sur les bords de la mer. Cette défaite de leurs alliés entraîna la soumission de la plus considérable portion des Abadzekhs ; les autres s’enfoncèrent dans les forêts et les anfractuosités des rochers comme dans un asile ignoré des Russes. Inutile précaution ! des colonnes volantes les poursuivaient, brûlant les aoûls sur leur passage, pourchassant les fugitifs la baïonnette dans les reins. Dans leur attachement au sol natal, près de le quitter à jamais, les proscrits hésitaient ; la force leur arrachait le serment de s’en éloigner, et cet engagement, ils l’acceptaient sans réflexion, parce qu’il leur valait en retour quelques instans de répit, dernière espérance à laquelle se rattachait leur imagination enfantine. Plusieurs, entraînés par d’irrésistibles regrets, reprirent furtivement le chemin de leurs demeures ; se glissant dans les bois, ils se dérobaient à toutes les recherches. Le désespoir pouvait réunir ces hommes dispersés et leur mettre à la main leurs armes, qu’ils avaient conservées, et dont le montagnard du Caucase ne se sépare qu’en perdant la vie. La prévision de ce danger, qui était très réel, rendit le vainqueur inexorable.

Les Abadzekhs avaient demandé comme dernière grâce un délai de quelques jours pour rassembler les débris de leurs richesses d’autrefois et faire leurs préparatifs de départ. Ce délai leur fut accordé par le général Yevdokimof, et le terme adopté fut le 1er (13) février 1864. Une fois le délai expiré, ils devaient se transporter avec leurs familles et leurs bestiaux dans les plaines basses destinées à les recevoir, ou dans l’un des ports de la côte désigné pour leur embarquement. Les retardataires surpris dans le pays seraient considérés comme prisonniers de guerre et traités comme tels. Les exilés se partagèrent en deux groupes ; l’un s’achemina vers le cours inférieur de la Biélaya, au centre des lignes russes, et l’autre se dirigea vers le port de Taman pour émigrer en Turquie. Il y avait en tout soixante-dix mille personnes de l’un et de l’autre sexe, à très