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peu près la moitié de la population dont se composait la nation abadzekh avant la guerre ; l’autre moitié avait péri dans les combats ou sous l’action plus destructive encore des fléaux de la nature.

Cette transportation de tout un peuple et d’une foule d’autres tribus de moindre importance laissait libre et dépeuplée la vaste région du Kouban depuis la rive gauche de ce fleuve jusqu’à la grande chaîne du Caucase ; mais sur le versant opposé le littoral jusqu’au fleuve Schapsougo était encombré de clans hostiles. Là était campée la fraction méridionale de la tribu des Abadzekhs et des Schapsougs, avec les Djighètes sur leurs limites ; là s’étaient agglomérés tous les fuyards d’au-delà les montagnes, en quête des rares embarcations qui arrivaient pour les transporter chez leurs frères musulmans de l’Asie-Mineure. Ces tribus du littoral étaient renommées comme belliqueuses et féroces entre toutes ; leur position sur des pentes abruptes au milieu de défilés inextricables, dans des lieux où chaque accident de terrain est comme une forteresse inexpugnable, les avait préservées jusque-là de tout contact avec l’ennemi. Loin de trahir la moindre crainte à la vue des apprêts formidables dirigés contre elles, leur attitude était fière et provocante. C’était le dernier point, mais le plus difficile à emporter de tout le Caucase occidental. Les généraux Heymann et Grabbe exécutèrent à diverses reprises des reconnaissances dans les hauts bassins du Touapse, de la Pschekha et du Pschicsh, dévastant le pays, abattant les forêts et ouvrant au travers de la grande chaîne des chemins destinés à relier la région du nord avec le rivage de la mer. Au commencement de 1864, le grand-duc Michel, qui avait succédé au maréchal Bariatinskii comme lieutenant de l’empereur, donna l’ordre d’en finir en attaquant les montagnards par le nord et le sud, et en les prenant des deux côtés à la fois par un mouvement convergent. Dans le gouvernement de Koutaïs, outre les troupes locales, neuf bataillons de la division des grenadiers avaient été concentrés, et des approvisionnemens disposés sur le bord de la mer pour être transportés par des embarcations partout où besoin serait. Le grand-duc vint prendre lui-même le commandement supérieur de l’expédition et confia aux généraux Heymann et Yevdokimof le soin d’en diriger les opérations. La campagne ne fut pas longue, et l’issue n’en était pas douteuse. Des troupes nombreuses, fraîches et animées par le souvenir de leurs succès passés, parfaitement disciplinées et organisées, avaient devant elles une tourbe de pauvres montagnards affaiblis par la mort ou le départ de leurs frères, désolés par les maladies, mourant de faim au milieu de leurs stériles rochers, dont l’approche était interceptée par la croisière russe. Un premier élan porta les généraux Heymann et Yevdokimof au cœur