souvenir évoqué dans un moment de rêverie. Non, en vérité, après le bonheur que l’on ressent à courir sur les mers toutes voiles dehors, je ne sais rien de plus prestigieux que de raser la terre à toute vapeur dans le silence d’une nuit d’été.
Ces impressions étranges, — et toujours nouvelles pour ceux qui ont connu les longs voyages dans les diligences, — je les éprouvai dans toute leur intensité, lorsque le train parti la veille au soir m’eut transporté en neuf heures, — tout juste le temps que j’aurais employé à dormir, — dans la gare d’Ancenis, à près de cent lieues de celle du Mont-Parnasse, à Paris. Au moment où je touchais la terre, encore étourdi de la rapidité de la traversée, j’aperçus un break attelé de deux petits chevaux qui s’avançait vers la voie ferrée. Le cocher, après avoir examiné avec attention les voyageurs qui défilaient par la porte de sortie, arrêta ses yeux sur moi.
— C’est monsieur que l’on attend au château de La Ribaudaie ? cria-t-il de loin en levant sa casquette galonnée.
Sur ma réponse affirmative, il accourut pour prendre mes bagages, qu’il rangea dans les coffres du break. Cinq minutes après, ce qui reste des vieux murs d’Ancenis et de son château, bâti par la comtesse Aremberge, disparaissait derrière nous, et nous traversions au trot le pont qui devait nous conduire sur la rive gauche de la Loire. Il y avait des trains de bateaux qui remontaient le fleuve, poussés par une jolie brise du sud ; aux abords du pont, les mariniers abaissaient leurs mâts fit remontaient péniblement, en se touant sur leurs ancres, le courant de la Loire, rendu plus rapide encore par les piles des arches qui leur font obstacle ; puis les voiles se hissaient de nouveau, et le convoi reprenait sa marche à travers les grèves dorées et les îles verdoyantes. Les hirondelles de rivage aux ailes grises, qui nichent par troupes dans le sable des berges, se jouaient gaîment sur les eaux. L’air était frais et doux ; les nuages affectaient cette forme arrondie, cette apparence floconneuse qui annonce le voisinage de l’Océan. Tout le paysage ressentait l’influence de la Loire, qui coule majestueusement avec une vitesse contenue au milieu d’une campagne engraissée du limon de ses eaux. Je ne puis revoir ce noble fleuve sans songer à l’Ohio et au Nil.
Si je marchais moins vite que sur la voie ferrée, au moins étais-je en communication directe avec la terre ; d’ailleurs, quand le jour brille, il y a plaisir et profit à voir le pays que l’on parcourt. Les petits chevaux faisaient voler la poussière sous leurs pieds. De temps à autre le cocher se tournait vers moi, épiant l’occasion, de lancer quelques paroles qui semblaient lui brûler la langue. Enfin il trouva un prétexte pour parler.