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prima facie case, à moins que notre mandat d’arrêt n’ait point de raisons d’être. Or que demande la loi anglaise ? que les documens qui établissent ce prima facie case accompagnent le mandat d’arrêt et la demande d’extradition, et que la partie poursuivante les fasse valoir, afin que la conscience du magistrat anglais soit éclairée avant qu’il ne prenne la résolution grave de priver un étranger de sa liberté et la résolution irréparable de lui retirer l’asile qu’il avait imploré en se réfugiant au foyer du peuple anglais. Encore une fois, où est la difficulté, si le mandat d’arrêt a un objet légitime, s’il est fondé sur des charges suffisantes, en d’autres termes si la demande d’extradition est juste ?

Comment oublier de plus que cette prétendue difficulté d’extradition qui nous arrête, dit-on, en Angleterre n’arrête nullement les États-Unis dans les possessions anglaises, ni les Anglais en Amérique, où ils ont à remplir exactement les formalités qu’ils nous demandent ? Et pourtant ce n’est pas seulement le gouvernement anglais, c’est le moindre banquier de l’Angleterre qui trouve moyen de réclamer et de ramener un fugitif des États-Unis, s’il croit y avoir intérêt ou s’il veut faire un exemple, car personne n’ira jusqu’à prétendre que les traités d’extradition aient pour but pratique de réclamer et d’obtenir sans distinction tous les malfaiteurs qui fuient leur patrie et qui, pour éviter la prison, se condamnent souvent à l’exil. L’utilité réelle de ces traités est dans la menace permanente qu’ils tiennent suspendue sur la tête des coupables, et cette crainte salutaire a seulement besoin d’être renouvelée de temps à autre par quelque éclatant exemple. C’est ainsi que chez nous la compagnie des chemins de fer du Nord a cru avec raison, il y a quelques années, devoir établir par un exemple qu’il ne suffisait pas, pour la voler avec impunité, de fuir en Amérique. Elle a donc réclamé et obtenu à New-York, selon les formes de la procédure anglaise, l’extradition de ses caissiers infidèles. Comment se persuader cependant que le gouvernement français trouve trop difficile de faire à Londres, pour bénéficier de la convention de 1843, ce que les Anglais font tous les jours aux États-Unis, ce qu’une compagnie française n’a pas hésité à faire lorsqu’elle a pensé y avoir quelque intérêt ?

Aussi n’est-ce pas seulement la difficulté d’exécution qu’on allègue en pareille matière, c’est le point d’honneur. On soutient chez nous cette singulière théorie, que c’est offenser nos magistrats que de ne point considérer un mandat d’arrêt lancé par eux comme une preuve suffisante de culpabilité. Nous savons qu’il est de mode aujourd’hui de considérer la modération ou l’honneur de ceux qui gouvernent comme une garantie propre à tenir lieu de beaucoup d’autres ; mais c’est étendre bien loin le domaine du point