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gardé de reprocher à Erwin de Steinbach de ne point avoir construit le Parthénon. À défaut de compétence, sa complaisance le servait ; il savait, comme cette maîtresse de maison, remplacer le rôti absent par une anecdote, et tout le monde s’en allait content, même M. Cousin, qui avait fini par découvrir un prosateur français du meilleur style dans l’auteur de la Juive et des Mousquetaires de la Reine.

Qui ne connaît Graziella, Geneviève, Fior d’Aliza, ces sœurs charmantes, quoique tardives, de la Laurence de Jocelyn, ces harmonies en prose d’un grand poète ? Il est de mode aujourd’hui de manquer de respect à Lamartine ; on raille sa décadence, on jette la pierre à ses désastres ; et sous cet écroulement, dont chacun parle, nul ne songe à recueillir bien des richesses enfouies, à compter les parcelles d’or que, parmi tant de décombres, roule encore dans ses flots ce noble fleuve en allant aux abîmes. Tant de pages du poète des Méditations et des Harmonies écrites au hasard, tant d’improvisations vouées d’avance à l’oubli vous rappellent certaines partitions italiennes de l’auteur de Guillaume Tell, ce fatras rossinien qu’au moment le plus inattendu traverse un éclair de génie, vibration de harpe éolienne dans les ténèbres, voix d’en haut perdue pour les oreilles du profane, et qui parlent aux cœurs initiés. De ce cycle de nouvelles lamartiniennes, Fior d’Aliza est la dernière venue. Le poète y raconte ses souvenirs d’Italie, et, le lointain aidant, il idéalise à perte de vue. « Elle était debout, les pieds nus, plus blancs et plus délicats que les cailloux qui sortent de la source ; sa robe, à gros plis noirs perpendiculaires, tombait avec majesté sur ses chevilles ; son corset rouge, à demi délacé, laissait l’enfant sucer le lait et le répandre de sa bouche rieuse comme un agneau désaltéré qui joue avec le pis de la brebis. Je retenais ma respiration pour mieux contempler cette divine figure ! » Là est le point critique du système, son noli me tangere, le côté dangereux par où la figure la plus aimable, la plus touchante, glisse à sa perte et finit par devenir, comme Atala, un délicieux sujet de pendule. Les gens habitués à se payer de mots appellent encore aujourd’hui romantisme cette prose cadencée et vide que Lamartine, à ses mauvais momens, emprunte à Chateaubriand, et que l’auteur du Dernier des Abencerrages s’était faite en ôtant les rimes au récit de Théramène. Il n’importe ; les amours du jeune zampognaro et de la belle contadine sous le grand châtaignier patriarcal ne se lisent point sans émotion ; l’intérêt dramatique, sous la diffusion du discours, se laisse entrevoir. Le sujet d’ailleurs était musical au premier chef, et ce poème de Fior d’Aliza devait d’autant plus naturellement fournir l’étoffe d’un opéra nouveau, qu’il en contenait déjà lui-même trois anciens. Le chef des sbires, comme ce podestat lubrique et féroce de la Gazza, relance et persécute de son amour une jeune fille qu’il tient sous sa dépendance comme l’épervier tient dans sa griffe un pauvre oiseau. Geronimo emprisonné après avoir d’un coup de carabine abattu le misérable, Fior d’Aliza se dé-