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voue, et, pour pénétrer jusque dans la geôle, pour sauver la vie à son amant, s’habille en homme comme la Léonore de Fidelio. Seriez-vous en peine du dénoûment ? Attendez un peu ; le Déserteur y pourvoira.

Dramatique, on le voit, la pièce le serait à moins. D’ailleurs qui ne sait que l’opéra vit de certaines situations éternellement reproduites, et que le musicien renouvelle et transforme au gré de son talent, de son génie ? Dans ce poème où Monsigny, Beethoven et Rossini, avant lui, avaient passé, l’auteur des Noces de Jeannette, des Saisons, de Galathée, de la Reine Topaze, a très victorieusement trouvé sa voie. Son inspiration, sans rien perdre de cette heureuse veine mélodique dont les ouvrages que je viens de citer indiquent les meilleurs momens, son inspiration s’est élargie, affirmée. On remarque un progrès du côté du style. Ces développemens mêmes que blâment à juste titre les purs amateurs d’opéra-comique témoignent d’une vue d’ensemble, d’un effort puissant vers la grande composition. Enfiler d’agréables motifs à la suite les uns des autres, faire succéder des duos à des cavatines, et des chœurs à des chansonnettes, cela peut être d’un musicien habile, ingénieux ; il n’appartient qu’aux maîtres d’écrire des opéras. « Trop de musique ! » s’écrient les mécontens. Il est évident qu’au lendemain du Voyage en Chine cette accentuation dramatique et passionnée, ce vigoureux parti-pris musical avait de quoi déconcerter un certain monde ; mais en bonne justice il y a aussi d’autres goûts à satisfaire. Et si l’histoire de France nous enseigne que l’opéra-comique touche au vaudeville, Joseph, les Deux Journées, Zampa, l’Étoile du Nord et le Pardon de Ploërmel sont là pour démontrer qu’il confine également à l’Académie impériale. Je veux bien accepter vos opéras, dont le plus grand mérite est de pouvoir se passer de musique, à la condition qu’à votre tour vous ne viendrez pas me chicaner sur la symphonie ; j’emploie le mot à dessein, car la musique de M. Victor Massé a par instans tout le pittoresque d’un tableau. Ceux qui reprochent à cet ouvrage sa couleur sombre n’ont pour se réjouir les yeux qu’à regarder à l’orchestre, si varié de teintes, si curieusement travaillé sans cesser d’être ému. L’épisode de la noce traversant la scène au moment où Fior d’Aliza tombe inanimée, un souffle de chanson sur ses lèvres, est un morceau traité en coloriste, et qui, pour l’entrain villageois, la disposition des groupes et des contrastes, rappelle les meilleures toiles de Knaus. L’auteur des Noces de Jeannette se retrouve là tout entier ; mais ce qui vaut encore mieux que le pittoresque et la musique imitative la plus réussie, c’est un chant large, pathétique, inspiré : la phrase que propose le frère Ilario en manière d’invocation au châtaignier, et qui, reprise ensuite par toutes les voix, termine ce superbe quintette par une péroraison digne de son exorde. La saltarelle du troisième acte produit l’effet que tout le monde avait prévu aux répétitions. Un pareil rhythme et la vocalisation fulminante d’une Caroline Duprez, c’est irrésistible.

Au reste, Mme Vandenheuvel apporte dans tout le rôle les rares qualités