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faudra, pour les racheter, faire des emprunts nouveaux[1]. Il ne manque pas d’hommes pour dire qu’une dette permanente est la condition nécessaire d’une ferme union, nationale, et qu’il faut sentir le joug incessamment pour y rester accoutumé. L’Amérique se trouverait donc convertie en quelques mois au régime financier des grands états de l’Europe. Elle aurait sa dette comme la France, et, comme la France, son système bientôt centralisé de banques nationales. Que lui manquerait-il ? Une administration comme la nôtre. Et bien que tant d’indices précurseurs annoncent que pour une longue période le vent va souffler de ce côté, je doute qu’on puisse jamais transformer la constitution intime et élémentaire du pays. Je ne redoute en Amérique qu’un seul genre de centralisation, celui auquel la démocratie est toujours encline, parce qu’elle abat les influences individuelles, traditionnelles et locales, et qu’elle les noie dans le flot sans nom des partis. Cette centralisation politique serait à craindre le jour où le courant aurait coulé longtemps d’un même côté et creusé son fit à travers les résistances des institutions libres. Quant à l’administration proprement dite, l’impulsion de l’opinion publique peut à l’occasion mouvoir à la fois tous ses rouages épars et lui donner l’apparence, la force même de l’unité ; mais cette force ne lui vient pas d’elle-même, et bien vaine est la menace de ceux qui prédisent à l’Amérique un gouvernement centralisé.

  1. On sait qu’aujourd’hui la reprise des paiemens en espèces est devenue certaine, bien qu’elle ne puisse être immédiate. C’est l’honneur de l’administration républicaine et de son ministre des finances, M. Mac-Culloch, de vouloir acquitter jusqu’au bout les promesses du trésor. Les démocrates voudraient qu’on instituât simplement un fonds de réserve pour garantir la valeur du papier et une dotation annuelle pour l’amortissement de la dette ; ils espèrent par là éviter les lourdes taxes qu’il faudrait lever pour effectuer le remboursement rapide que souhaitent les républicains. C’est le parti des expansionistes, dirigé aujourd’hui par M. John Van Buren. Au contraire les contractionistes, avec M. Mac-Culloch, sont d’avis qu’il faut retirer le papier-monnaie de la circulation, maintenir de gros impôts, et racheter chaque année ce qu’on pourra de la dette nationale. Dans son dernier rapport au congrès, M. Mac-Culloch se déclare pour la révocation ultérieure du legal tender act, qui a institué le papier-monnaie. Il recommande au congrès de démonétiser d’abord à leur échéance les compound interest notes, espèces d’obligations portant intérêt qui ne sont qu’une forme déguisée du papier-monnaie. Il lui demande en revanche la faculté d’émettre à discrétion de l’emprunt 6 pour 100, dont le produit sera affecté au rachat des compound interest notes, et conseille en général le remboursement graduel de la dette à son échéance. En même temps la chambre a passé une résolution pour condamner à l’avance toute proposition tendant à répudier la dette, qui est aujourd’hui de 2 milliards 714 millions de dollars. Quant aux revenus actuels, on les évalue à 396 millions de dollars, plus de 2 milliards de francs. Le peuple américain, qui paie on outre des taxes locales au moins aussi lourdes, ne se sent pourtant pas écrasé : il tient à faire mentir les prédictions de banqueroute. S’il persiste dans sa résolution courageuse, il aura donné l’exemple d’une probité bien rare et d’un sentiment d’honneur qu’on n’a pas coutume d’attribuer aux nations démocratiques.