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21 décembre.

Le congrès vient de faire un pas hardi vers la responsabilité ministérielle. Un membre a proposé que désormais les ministres pussent être appelés à la barre de l’assemblée pour donner des explications. Le rapport du comité, rédigé par M. Stevens, sera favorable à la proposition, et il est probable que l’active résistance de M. Seward n’empêchera pas qu’elle ne soit votée. Ainsi, même dans une république où le pouvoir exécutif se retrempe dans l’élection populaire, où son action est limitée par un pouvoir judiciaire, interprète unique et sans appel d’une constitution souveraine, on éprouve encore le besoin de lier plus étroitement le faisceau des pouvoirs publics, et de mettre les agens de l’autorité exécutive sous le contrôle plus direct de la représentation nationale. Qu’en diraient ceux de nos philosophes politiques qui ne croient pas l’irresponsabilité exécutive incompatible avec la liberté ?

M. Seward paraît en ce moment très impopulaire dans le congrès. On reproche de la faiblesse à sa politique extérieure tant à l’égard du Mexique et de l’Angleterre qu’à l’égard du Brésil. La fameuse doctrine de Monroë, ce drapeau de l’orgueil national et de l’esprit envahisseur de la race américaine, est déployée contre lui. On dit même que ses dissentimens avec le congrès le forceront à donner sa démission.

On s’attend à une escarmouche assez vive sur l’admission de MM. Cutler et Smith, prétendus sénateurs de la Louisiane. Vous savez que le sénat des États-Unis est élu, non pas directement par le peuple, mais par la législature des états, qui envoient chacun deux sénateurs au congrès, quelle que soit d’ailleurs leur population. Or la Louisiane est depuis le mois de juillet dernier sous l’empire d’une constitution nouvelle, œuvre semi-militaire du général Banks et d’une sorte de junte à la mexicaine nommée seulement par les amis connus du gouvernement fédéral. Les libertés de la Louisiane sont rétablies sur le papier, l’état réorganisé dans la plénitude de ses droits souverains ; seulement les pouvoirs sont élus, sous la protection de l’autorité militaire, par un vingtième à peine des citoyens. Cela s’appelle « reconstruire l’état de la Louisiane ; » ce n’est au fond que donner à l’état de siège une apparence de légalité. On pouvait faire provisoirement de la Louisiane un territoire, c’est-à-dire lui imposer la direction politique du gouvernement de Washington sans lui donner voix délibérative au sein du congrès ; on pouvait la laisser quelque temps encore sous la domination avouée de son commandant militaire, et l’arbitraire avait ainsi le mérite de la franchise : on a préféré lui restituer le rang fictif d’état souverain, afin