d’exercer en son nom dans les conseils de la nation l’influence dont elle restait dépouillée.
Le congrès se demande s’il prendra au sérieux cette comédie. Les deux partis sont divisés d’opinions, républicains contre républicains et démocrates contre démocrates. Parmi les républicains, les uns tiennent pour la politique radicale et pour le plan Sumner-Wade de la réorganisation en territoires des états conquis[1] ; les autres veulent donner une approbation sans réserve à toutes les mesures dictatoriales du général Banks. Quant aux démocrates, les uns obéissent à leur hostilité très légitime contre le général lui-même et la domination militaire qu’il personnifie ; les autres s’attachent à une idée mal entendue des droits impérissables des états, qui ne peuvent être légalement exclus de l’Union et dont les affaires locales doivent rester closes à l’intervention du congrès. Enfin le dictateur de la Louisiane est venu lui-même à Washington soutenir ses créatures, et nul ne doute aujourd’hui que les deux nouveaux sénateurs ne soient admis dans le congrès.
On parle plus que jamais de l’abolition de l’esclavage. M. Sumner a demandé hier qu’on prît en considération une pétition du révérend Ward Beecher[2] et de 3,000 citoyens de New-York qui réclament l’émancipation radicale et immédiate. Une fraction considérable du parti démocrate se rallie à la grande réforme pour cette bonne raison qu’elle en voit l’opinion publique possédée, et qu’elle veut au moins en partager l’honneur. De son côté, Jefferson Davis n’a pas renoncé, à son projet d’émancipation armée. Un de ses journaux s’indigne contre cet obstacle suranné de l’esclavage qu’on oppose à l’indépendance du sud. « Privons, dit-il, nos ennemis du prétexte de l’abolition. Nous ne faisons plus la guerre pour l’esclavage, mais pour la liberté des blancs. » Vous le voyez, il s’agit maintenant de savoir si la société du sud rentrera dans la famille américaine ; quant à l’esclavage, il est blessé à mort, et la guerre ne sert plus qu’à ensanglanter ses funérailles.
L’esprit abolitioniste a pénétré jusqu’à la Havane. Blancs et noirs,
- ↑ C’est la même politique que les radicaux soutiennent encore aujourd’hui contre la politique plus douce de reconstruction adoptée par le président Johnson. Les radicaux veulent imposer manu militari aux états du sud toutes les réformes qu’ils jugent nécessaires à l’honneur national et à la sécurité publique, et au premier rang desquelles ils mettent le suffrage des noirs. Le président, sans réprouver toutes leurs idées, pense qu’il faut laisser les états du sud accomplir eux-mêmes les réformes qu’on leur demande. Les radicaux voudraient agir : M. Johnson se contente de parler en maître et de dicter aux états du sud les conditions indispensables de leur retour à l’Union.
- ↑ M. Henri Ward Beecher, prédicateur et orateur abolitioniste, frère de Mme Beecher Stowe, l’auteur du roman célèbre la Case de l’Oncle Tom.