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exempté du service militaire 15,000 hommes qui seraient d’un bon service à Richmond. Brown répond très fièrement que, s’il a un reproche à se faire, c’est d’avoir trop cédé aux exigences du despotisme militaire et trop laissé fouler aux pieds les lois de son état. Si la Géorgie, au lieu d’envoyer le ban et l’arrière-ban de sa population mâle au secours de la Virginie, avait fermé l’oreille aux appels du président, Sherman ne l’aurait pas envahie, dévastée et à demi conquise. Il convient mal aux législateurs de Richmond de se plaindre de la Géorgie après l’avoir dépouillée de son dernier homme et livrée sans défense à l’ennemi. Elle a envoyé cinquante régimens périr sur de lointains champs de bataille, et ces 15,000 hommes qu’on lui reproche d’avoir gardés pour elle, qui à présent sont toute sa milice, se composent de vieillards et d’enfans, La loi n’enrôle que les hommes valides de seize à cinquante ans. Il y en a 800 à peine qui aient l’âge du service, et ceux-là sont des prêtres, des juges, des fonctionnaires de l’état, indispensables au gouvernement de leur pays et légalement exemptés. La Géorgie ne souffrira pas qu’on détruise son gouvernement, qu’on enrôle ses législateurs, qu’on ferme ses cours de justice ; elle s’est armée pour le maintien de ses libertés, et elle saura bien les défendre.

Telles sont les deux factions qui se disputent les restes mutilés de la confédération rebelle. On peut, en l’étreignant d’une main puissante, brider le pays pour une dernière bataille, et prolonger une lutte inutile au prix d’un effort gigantesque. La Virginie n’a pas, à la vérité, 600 hommes blancs désarmés ; mais il lui reste ses nègres à immoler. Le gouvernement ne paie qu’un cinquième des réquisitions qu’il extorque : il lui reste à ne rien payer du tout. Le commerce hasardeux du blocus a enrichi quelques négocians : on songe à confisquer leurs navires, à monopoliser leur commerce, à en accaparer les profits. Alors, avec les noirs saisis et enrôlés malgré leurs maîtres, on frapperait un grand coup sur le Maryland, sur la Pensylvanie, peut-être sur Washington, après quoi, si l’on échouait, il faudrait se rendre, se faire tuer ou mourir de faim. Voilà ce qu’on attend du général Lee ; d’autres aiment mieux voir en lui le pacificateur réservé par la Providence. On sait que « le vieux Virginien » n’a été entraîné dans l’insurrection que par un sentiment de fidélité chevaleresque et de patriotisme égaré. Aura-t-il à présent le courage de s’avouer vaincu ? En tout cas, la ruine des rebelles est proche. « Jamais, dit Burke, une nationalité n’a été soumise, » et les sudistes s’encouragent en invoquant cette pensée ; mais il s’agit de savoir s’ils ont eu le temps de fonder une nation. Je sais bien qu’aujourd’hui les nationalités sont à la mode et qu’avec ce mot sonore on a réponse à tout. L’esclavage est sans doute une institution bien odieuse ; mais que voulez-vous ?