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concurrences au moyen de la concentration des entreprises, garantie d’un minimum d’intérêt sur une portion du capital, — n’avaient qu’un seul et unique objet, à savoir la construction prompte et ordonnée des chemins de fer suivant un plan d’ensemble dont le gouvernement avait tracé dès l’origine les grandes lignes, et qu’il développait à l’aide d’embranchemens destinés à rayonner sur toutes les parties du territoire. Sans doute chacune des mesures que nous venons d’énumérer constituait un avantage accordé aux compagnies ; mais celles-ci ne recevaient cet avantage qu’à la condition de construire toujours et toujours des chemins de fer, aux termes d’engagemens nouveaux qui risquaient d’épuiser leurs ressources de capital ainsi que leur crédit et d’amoindrir les bénéfices de l’exploitation. L’état n’était libéral envers les compagnies que pour exiger beaucoup d’elles dans l’intérêt public ; ce qu’il leur donnait en concours matériel ou moral devait être immédiatement employé au profit du réseau ; à chaque concession correspondait une charge, et plus d’une fois, après la signature de ces contrats, dans lesquels la responsabilité pécuniaire du trésor était soigneusement limitée, le gouvernement se voyait forcé de reconnaître ou qu’il n’avait pas assez accordé, ou qu’il avait demandé trop. Tel fut le système dont il convient de suivre exactement les combinaisons successives, si l’on veut se rendre bien compte du rôle des compagnies, de leurs engagemens envers l’état comme envers le public, de l’intention et du caractère des actes qui ont organisé en France les chemins de fer[1].

Ce système est-il conforme aux règles de l’économie politique ? Ne pourrait-on pas y relever une dérogation aux principes, en ce sens qu’il entraîne l’intervention constante de l’état dans les opérations de l’industrie privée, maintient entre deux intérêts qui devraient demeurer distincts une confusion plus ou moins arbitraire, et restreint pour les transports le champ de la concurrence ? Ces objections seraient très graves, s’il s’agissait de résoudre un problème scientifique ; mais ici toute la question est de savoir si, pour créer et développer les voies ferrées sur notre territoire, la science pure fournissait des moyens plus énergiques et plus prompts que ceux qui ont été employés. Or il n’est point téméraire de penser que, sous le régime de liberté absolue, recommandé par la doctrine, l’industrie particulière, indépendante de l’état, livrée à ses seules ressources, menacée par la concurrence, n’aurait point été en mesure de construire les 13,000 kilomètres exploités aujourd’hui, et l’on peut affirmer à coup sûr que ses efforts se seraient portés sur les grandes lignes, sur quelques tronçons privilégiés, au lieu de

  1. Voyez, pour la série des concessions, le Répertoire méthodique de la législation des chemins de fer, 1864.