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ils ne peuvent acheter à propos ni par grandes quantités, ni solder immédiatement leurs achats, ni amortir les frais généraux en les répandant sur de nombreuses opérations. Ils n’ont sur la place qu’un crédit restreint. Leurs marchandises, pour tous ces motifs, leur coûtent plus cher, et ils sont obligés d’en tenir les prix plus élevés, de telle sorte que l’acheteur pauvre souffre de sa pauvreté et de la pauvreté relative de ses fournisseurs. Comment les petites maisons à petits crédits et à petites clientèles peuvent-elles se soutenir en présence de l’accaparement du commerce par les grands capitaux ? Et comment les ouvriers vont-ils en général s’approvisionner dans des maisons où ils trouvent moins de choix et des prix moins favorables ? Cela s’explique par la routine, par une certaine familiarité qui s’établit, grâce à la communauté des idées et des intérêts, entre personnes du même monde, et surtout par la grande et incomparable raison de la vente à petites mesures et des avances. Ce dernier point est également triste pour le vendeur et pour l’acquéreur, pour ce dernier surtout, qui, en achetant de petites quantités, paie pour ses consommations une plus grande redevance, et qui, en obtenant un crédit qu’il faut également payer, car tout se paie, abdique sa liberté et jusqu’à un certain point la direction de sa propre dépense. Il est évident qu’une association de consommation, si elle est possible, est pour l’ouvrier une diminution notable de dépenses, ou, ce qui revient au même, une augmentation notable de richesse.

En effet, l’association est un grand marchand, quoiqu’elle vende à de petits acheteurs, et un grand capitaliste, quoiqu’elle soit formée par des prolétaires. Elle fait ses approvisionnemens en gros et elle les paie comptant, double raison pour les payer moins cher. Elle est exonérée de tous les frais de luxe, c’est tout au plus si elle s’accorde le comfortable ; tout le monde, depuis le directeur jusqu’aux commis de vente, vit en ouvrier, en porte le costume et en garde les habitudes. Elle n’a pas besoin d’affiches ni de réclames dans les journaux ; enfin elle est exempte de la plupart des exigences fiscales. Connaissant à fond les besoins de sa clientèle, dont le nombre est d’ailleurs à peu près invariable, elle fait ses achats à bon escient et n’est exposée ni aux erreurs de mévente ni aux longs emmagasinages. A tous ces titres, elle peut livrer ses marchandises à bien meilleur marché. En s’obligeant très strictement à ne vendre qu’au comptant, elle supprime une des plus grandes chances de perte, et fait contracter à ses acheteurs une habitude également précieuse au double point de vue de l’économie et de la morale. Il n’y a donc pas de doute sur les services que peut rendre une association de consommation, si elle est possible ; mais est-elle possible ? On a voulu le contester, et voici comment.