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directeurs sont très habiles et très réservés, s’ils réduisent les achats dans les limites de la vente à peu près assurée et la vente elle-même dans les limites que leur fonds social leur prescrit, si d’un autre côté les associés habitent très près les uns des autres, vivent de la même façon, paient comptant, s’abstiennent d’entraver par des exigences hors de propos et par des querelles l’action de l’administration, il ne paraît en vérité nullement impossible que l’association puisse durer ainsi quelque temps et même apporter une certaine amélioration dans la situation des sociétaires. Avouons pourtant que ce sont des conditions bien multiples, dont plusieurs semblent assez difficiles à réaliser, et qu’en mettant tout au mieux, la société ainsi constituée ne fera que végéter, n’amassera aucun bénéfice et ne sera jamais sûre du lendemain. Sera-ce bien la peine de se mettre en mouvement et de risquer une tentative qui ne peut échouer sans quelques inconvéniens, pour arriver à ce chétif résultat ? Et si c’est là tout, ne vaut-il pas mieux s’en tenir aux anciennes façons et compter pour la bonne tenue des ménages sur l’habileté et l’honnêteté des ménagères ? C’est l’avis des partisans les plus décidés de la coopération, et il n’y a pas un manager d’association anglaise qui ne déclare que, si on ne vend pas au public, tout ce qui peut arriver de mieux à la société, c’est de ne faire ni bien ni mal.

Prenons maintenant l’hypothèse inverse, et voyons quel sera le sort de la compagnie, si elle vend au public. Avant tout, il faut, sous peine de ruine, qu’elle ait la sagesse de choisir sa clientèle, c’est-à-dire de n’acheter elle-même que les denrées ordinairement consommées par les ouvriers. Elle court à sa ruine, si elle se lance dans les spéculations ; elle y perd sa sécurité, son utilité, sa raison d’être, son importance sociale. Ce danger n’est pas à craindre, car les sociétés savent qu’en se fourvoyant sur le marché des fournitures destinées aux riches, elles y rencontreraient la concurrence des grands capitaux et des capacités spéciales. Il faudrait bien peu connaître l’esprit des ouvriers pour ignorer qu’ils ne seront même pas tentés, et que par goût autant que par prudence ils ne chercheront pas de relations ailleurs que dans leur classe. Vendre au public, pour les sociétés coopératives, signifie donc seulement vendre aux ouvriers non-associés ou aux personnes vivant à la façon des ouvriers.

Ainsi les sociétés étendront leur clientèle sans la changer, cela veut dire qu’elles conserveront leurs avantages et en acquerront de nouveaux. Leurs avantages sont d’acheter en gros comme les plus fortes maisons, d’avoir une clientèle certaine (les associés), et une clientèle homogène (les ouvriers). Les bénéfices sont donc infaillibles, et il suffit d’en faire part aux acquéreurs pour les attirer.

Non pas sans doute à tous les acquéreurs indistinctement.