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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/261

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types, et m’abstiendrais d’écrire un Don Carlos. « Entre tant de pères qu’il pouvait me donner, pourquoi le ciel m’a-t-il infligé celui-là ? » s’écrie le héros de Schiller. Entre tant de sujets qu’un maître peut prendre, pourquoi choisir Don Carlos ? On avait parlé d’un Roi Lear, d’une Marion Delorme. Deux fois déjà le théâtre de Victor Hugo a porté bonheur à Verdi ; il ne serait pas impossible qu’une troisième expérience réussît encore davantage. Chose curieuse pourtant de voir ainsi nous revenir l’une après l’autre par la musique les plus nobles œuvres du théâtre contemporain ! Donizetti nous a conservé Lucrèce Borgia ; si le Roi s’amuse figure encore sur une affiche parisienne, c’est grâce à Verdi ; un maestro de Pérouse ou de Bergame a écrit un Ruy-Blas : vous verrez que nous retrouverons ainsi quelque jour Marion Delorme. C’est de la musique aujourd’hui que nous vient la littérature ; c’est dans les salles d’opéra, c’est au milieu des harmonies des voix et de l’orchestre qu’il faut aller rêver des imaginations de nos grands poètes.

A quoi sert donc la Comédie-Française ? Pourquoi de ces toiles splendides que le musée national possède sommes-nous réduits à n’avoir en quelque sorte que la gravure ? Question ingénue ! la Comédie-Française est de son temps. Les théâtres de genre ont donné le branle, et l’antique duchesse emboîte le pas du demi-monde et du petit monde. Elle qui jadis donnait le ton à son tour le subit. Les grandes dames vont à Mabille : pourquoi la maison de Molière se refuserait-elle les violons du bal de l’Opéra ? Les pierrots sont entrés avec les débardeurs, et à leur suite cette cohue carnavalesque des gens criant bravo et de ceux qui sifflent devant que les chandelles soient allumées. Du balcon de la rue Richelieu, on entendait parler l’argot du Vaudeville. Quand on a l’honneur de diriger la Comédie-Française, on se doit au culte de la belle langue, et s’il vous arrive d’en pouvoir enrichir le trésor, n’eussiez-vous d’ailleurs jamais su rien écrire qui vaille, vous vous serez acquis dans l’avenir un certain titre aux yeux de l’Académie. Sérieusement, nous n’avons au cœur ni malveillance ni pruderie, et pourvu que la question littéraire soit en jeu, on nous trouvera toujours inclinant plutôt du côté de l’audace. La question littéraire, la question d’art, je voudrais bien qu’on me fît voir ce qui pouvait l’intéresser dans cette histoire d’Henriette. Maréchal. J’accepte ce prologue impossible, je vais même jusqu’à tenir compte aux auteurs de l’idée plus ou moins originale. Mettre en scène l’œuvre de Gavarni, peut-être y avait-il là quelque chose. Par malheur, l’esprit du crayon manque ; plus de relief, plus de trait, des découpures sans perspective passant et repassant, des pantins qui se coudoient en s’adressant d’ignobles apostrophes dont la platitude vous déconcerte. Je me dis alors : C’est raté, voyons la pièce. Ici le désappointement n’a plus de bornes : des situations ayant traîné depuis trente ans sur tous les théâtres du boulevard, cet écœurant scandale domestique dont prose et vers ont tant abusé que dernièrement une pièce agréable d’ailleurs, la Fa-