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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/308

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C’est par les mains d’un jeune homme né avec le siècle, mort à vingt-six ans, Masaccio, qu’elle fît ce grand pas, et l’on vient encore, dans la chapelle Brancacci, contempler l’inventeur isolé dont l’exemple précoce ne fut point suivi. Non-seulement il mourut trop jeune, mais encore il fut médiocrement apprécié de son vivant, « à ce point, dit Vasari, qu’on ne mit aucune inscription sur sa tombe. » Pour être chef d’école et mener le goût public, il faut être non-seulement un grand artiste, mais encore un habile politique et un homme du monde, et il sut si peu se faire valoir qu’il n’eut aucune commande des Médicis. « Il vécut toujours très concentré, dit Vasari, négligeant tout le reste, en homme qui, ayant attaché toute son âme et toute sa volonté aux seules choses de l’art, s’occupait peu de lui et encore moins des autres,… ne voulant jamais penser en aucune façon aux choses et soins du monde, pas même à son vêtement,… ne demandant d’argent à ses débiteurs que lorsque son besoin était extrême. » Avec de telles mœurs, on arrive au talent, mais non à l’autorité, et l’on fait des chefs-d’œuvre sans obtenir de preneurs. Un des premiers, il avait étudié le nu comme les raccourcis, observé soigneusement la perspective, rompu sa main aux difficultés, tout pénétré par le sentiment du réel, « comprenant que la peinture n’est que la reproduction au vif des choses de la nature au moyen des couleurs et du dessin, travaillant continuellement à faire les figures les plus vivantes possible à l’imitation de la vérité, » Outre ces dons, qui lui étaient communs avec ses contemporains, il en avait un autre qui lui était propre et le menait plus haut. On voit de lui aux Uffizi un vieillard en bonnet et en robe grise, tête ridée, un peu moqueuse ; c’est un portrait, mais non pas un portrait ordinaire ; il copie le réel, mais il le copie en grand. Voilà l’idée ou plutôt l’ébauche d’idée qu’on emporte avec soi de cette chapelle Brancacci qu’il a couverte de ses peintures ; elles ne sont pas toutes de lui. Masolino a commencé, Filippino a achevé ; mais les portions peintes par Masaccio sont aisées à reconnaître, et soit que les trois artistes se tiennent par des conformités secrètes, soit que le dernier ait suivi les cartons du second, l’œuvre dans ses différentes dates n’indique que les divers stades d’un même esprit. Ce qu’on remarque d’abord, c’est qu’ils partent du réel, je veux dire de l’individu vivant, tel que les yeux le voient. Le jeune homme baptisé que Masaccio montre nu, sortant de l’eau et grelottant, les bras croisés, est un baigneur contemporain qui s’est trempé dans l’Arno par une journée un peu froide. De même son Adam et son Eve chassés du paradis sont des Florentins qu’il a déshabillés, l’homme avec des cuisses minces et de grosses épaules de forgeron, la femme avec un col court et une lourde taille, tous deux avec des jambes