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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/331

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colossal, moins fier et moins emporté, mais aussi grave et aussi grand que les Prophètes de Michel-Ange, d’autres aux Uffizi, enfin un admirable Saint Vincent à l’Académie. Ce moine est le plus religieux des peintres qui ont été complètement maîtres de la forme ; nul n’a si bien accompli l’alliance de la pureté chrétienne et de la beauté païenne. Le même homme dessinait ses madones nues avant de les peindre, afin de placer un corps véritable et parfait sous les draperies tombantes[1], et s’était fait dominicain, après la mort de Savonarole, afin d’obtenir le salut : assemblage étrange d’actions qui semblent se contredire et qui indiquent un moment unique dans l’histoire, celui où le paganisme nouveau et le christianisme ancien, se rencontrant sans se combattre et s’unissant sans se détruire, permettent à l’art d’adorer la beauté sensible et de relever la vie corporelle, mais à la condition qu’il n’en aimera que la noblesse et n’en représentera que la gravité. Avec leur coloris modéré, atténué et toujours sobre, avec leur goût dominant pour le pur dessin, avec la mesure, l’équilibre et la finesse exquise de leurs facultés et de leurs instincts, les Florentins se sont montrés plus propres que les autres à remplir cette tâche. Comme jadis l’art grec dans Athènes, l’art italien a trouvé son centre dans Florence. Comme jadis en Grèce, les autres villes étaient insuffisantes ou excentriques. Comme jadis en Grèce, les autres développemens sont restés locaux ou temporaires. Comme jadis Athènes, Florence les a guidés ou ralliés autour d’elle ; comme jadis Athènes, elle a gardé sa primauté jusque dans la décadence. Par Bronzino, Pontormo, les Allori, Cigoli, Dolci, Pietro de Cortone, par sa langue et ses académies, par Galilée et Filicaja, par ses savans et ses poètes, plus tard enfin par la tolérance de ses maîtres et la vivacité de son réveil, elle est demeurée en Italie la capitale de l’esprit.


H. TAINE.

  1. Dessins originaux aux Uffizi.