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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/332

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PROUDHON
ET
SES OEUVRES COMPLETES[1]


I

Victor Hugo disait à Bruxelles : — Il faut que Proudhon ait dans sa poche de la peau de crapaud séché. Il frappe l’ennemi, il frappe l’ami, l’ami de préférence à l’ennemi, et à chaque coup qu’il porte à la démocratie, la démocratie frotte sa blessure et répond : Bien touché ! — Victor Hugo avait raison et il avait tort, sans vouloir le contredire. Proudhon portait bien en effet un sort sur sa poitrine, mais ce n’était que son tempérament, plus tempérament chez lui que chez personne. On est ce qu’on est ; Proudhon n’est pas plus l’homme d’une opinion que d’une autre ; il est Proudhon, et encore ne l’est-il pas toujours. Pour le juger sainement, on doit le juger en dehors de toute idée reçue, le prendre comme il est, pour ce qu’il est, pour un esprit déclassé et un aventurier de la parole. Il n’appartient pas plus à un parti qu’à lui-même, il appartient au coup de foudre de naissance qui fait de Pascal un génie à part, et qui en fait aussi un cas de pathologie.

On peut l’accuser d’erreur, non de défection ; il marchait toujours seul, systématiquement seul, à côté de toute route battue. C’est à ce point de vue qu’il faut l’apprécier ; mais pour l’apprécier il faut le comprendre, formalité difficile à remplir, car sa doctrine échappe à l’intelligence. Cerveau grisé de sa propre pensée, il avait l’illumination et plus encore la fumée de l’ivresse. Lorsqu’il mit la

  1. Œuvres complètes, Librairie internationale, A. Lacroix, Vertoeckhoven et comp.