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réponses insultantes des confédérés, ils ne font que ré- remplir un devoir et agir avec cette indulgence qui convient au plus fort en même temps qu’elle lui gagne des partisans. La mission de M. Blair n’a pourtant rien d’officiel, puisqu’on la désavoue, et pour qui considère l’obstination aveugle du gouvernement de Richmond il est évident que ce nouveau météore pacifique s’évanouira comme les autres……

il fait un temps radieux et doux qui me réconcilie avec le climat de Washington. De ma fenêtre ouverte au levant, et perché au sixième étage, je vois se dresser sur l’horizon la majestueuse coupole du Capitole, élevée sur ce piédestal naturel qui ajoute encore. à sa grandeur et noyée dans la brume comme quelque montagne lointaine. Ce matin, l’aspect solitaire et dominateur de cette coupole était superbe dans la pourpre violette de l’aurore. J’y vais tout à l’heure entendre discuter au sénat la rupture du traité de réciprocité canadien et à la chambre l’amendement constitutionnel.


13 Janvier.

J’ai perdu mon temps au congrès. D’abord j’entendais mal les orateurs dans les tribunes publiques, ensuite le congrès n’est pas tous les jours le royaume de l’éloquence. On dit que l’éloquence américaine a dégénéré et que jadis elle comptait de vrais génies ; son plus grand mérite aujourd’hui est une intarissable et fatigante facilité. Elle a deux manières et pour ainsi dire deux genres divers : l’un, celui du sénat, ressemble à une conversation entremêlée de querelles aigres-douces ; les bancs vides, les tribunes clair-semées, le président à moitié endormi sur son siège, tout y invite au calme et à la paisible expédition des affaires. La chambre au contraire est une mer tumultueuse, entourée de tribunes immenses et pleines de monde. Le nombre des membres est petit en comparaison du parlement anglais ou même de nos propres assemblées ; mais chacun d’entre eux est bruyant comme quatre. Le murmure des voix, le bruit des pas, les groupes rassemblés dans les coins, les mains claquées à chaque instant l’une contre l’autre pour appeler les waiters (je n’ose dire les huissiers, car ils n’ont ni chaînes ni baguettes), tout y respire l’indiscipline, l’insubordination et l’irrévérence. Peu d’orateurs obtiennent plus de cinq minutes d’attention silencieuse ; les discussions se poursuivent tumultueusement à un bout de la salle, tandis que l’autre ne les écoute plus : d’où la nécessité de parler, comme Démosthène, au bruit des vagues, de parler toujours, sans égard à l’auditoire, de parler fort pour se faire entendre des sténographes. Aussi l’éloquence de la chambre est-elle tapageuse, intarissable, gesticulée, la copie en un mot de celle des meetings. Chez nous, l’orateur cherche à conduire son auditoire, et