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nationale, et de rejeter la constitution même le jour où elle est d’accord avec le vœu du pays.

Le sud, dit-on encore, n’est pas là pour défendre ses intérêts ; on ne l’admet point comme partie au contrat, et l’on décide de lui sans l’entendre. — Si les représentans du sud ne sont pas aujourd’hui dans le congrès pour empêcher l’amendement, à qui la faute ? Et qui donc les en a chassés ? — On reproduit enfin la grande, l’éternelle banalité, l’excellence de l’esclavage. Fernando Wood, dans un discours terminé, comme toujours, par des yeux levés au ciel et une pieuse prière pour la paix, déclare que la servitude est un bien pour la race noire, que la Providence la lui a envoyée pour la tirer de sa barbarie primitive, et que le nègre atteint dans l’esclavage son plus haut degré de progrès. Quelques-uns, moins éhontés, se contentent, sans chanter les louanges de l’institution, d’invoquer pour elle le respect des propriétés. D’autres affichent un grand zèle pour le maintien de l’union nationale, et dénoncent l’amendement comme une mesure de sécession. Plusieurs ne semblent s’y opposer que pour mémoire et par fidélité à d’anciennes opinions ; il en est même qui s’excusent en alléguant des scrupules de conscience. Fernando Wood cependant n’a pas de ces craintes pusillanimes ; il s’avoue franchement sécessioniste, et nie que le salut de l’Union soit possible sur toute autre base que celle de l’esclavage régénéré. — Son institution, chérie, nord et sud, s’écroule néanmoins partout. Un député du Missouri, ancien état à esclaves, propriétaire d’esclaves lui-même, vient en termes hardis et convaincus prêcher une émancipation radicale et prompte. Le lendemain, on apprend que l’assemblée constituante ou convention constitutionnelle extraordinaire du Missouri vient de balayer sommairement les dernières traces de la servitude avant même de commencer les travaux de la constitution nouvelle et de nommer les commissions qui doivent en élaborer les détails. Ainsi le sol manque sous les pieds des esclavagistes, et si le sud ou plutôt le gouvernement de Richmond, imposant sa loi aux états du sud, se décide enfin à l’émancipation armée qu’il médite, il ne leur restera plus aucun prétexte, aucune arme entre les mains. Ils auront à choisir entre la ruine totale de leur influence et le rôle nouveau qui leur est dicté par les événemens.

Les républicains ne figurent pas beaucoup dans la querelle : ils laissent leurs adversaires s’entre-détruire, bien sûrs de rester à la fin maîtres du champ de bataille. En général, les adversaires de l’amendement ont un ton de résignation découragée ou cette violence convenue et irritante qui met des injures à la place des raisons. Ils font l’effet de jouer un rôle et de savoir que la partie est désespérée. Les abolitionistes au contraire, recrutés aujourd’hui dans tous les partis, ont l’accent de la sincérité et de la passion. Ce