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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/473

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du traité de commerce pouvait être excusée comme une représaille, presque comme une mesure de guerre, à l’époque où le Canada semblait provoquer les États-Unis. Elle n’a plus de raison d’être aujourd’hui, et ne peut être considérée que comme un acte de politique rancuneuse qui fera peu d’honneur au pays[1].

A la chambre des représentans, c’est toujours l’esclavage qu’on discute. L’amendement semble enrayé, et depuis plusieurs jours n’a pas avancé d’une ligne malgré les énergiques efforts de ses partisans. Il est probable, à la tournure que la discussion semble prendre, que la querelle se prolongera jusqu’à ce qu’on en soit fatigué, et qu’un vote quelconque l’envoie dormir jusqu’à la session prochaine. Il s’en faut de cinq voix à peine que la mesure n’obtienne les deux tiers exigés ; mais sur ces limites extrêmes le terrain est difficile à conquérir, et l’on n’avance que pas à pas. Cependant la lutte s’envenime entre les deux débris du parti démocrate. Les uns, MM. Yeaman, Oddell, Smithers et autres, acceptent l’abolition comme un fait, et l’amendement comme une nécessité ; quelques-uns y voient même un acte de justice et de réparation. Les autres, les coryphées ordinaires du parti, Wood, Voorhees et Pendleton, suivis du gros bataillon, repoussent avec indignation ou avec un demi-sourire de scepticisme découragé ce qu’ils appellent la violation des droits constitutionnels des états. Je ne comprends pas, je l’avoue, leur raisonnement, car si la constitution a pourvu elle-même à la forme de ses modifications futures, on ne peut pas dire qu’il soit inconstitutionnel de l’amender suivant les règles qu’elle a prescrites. Ils peuvent regarder comme funeste le droit même d’amendement, parce qu’il menace l’esclavage, et qu’ils voudraient perpétuer à jamais dans la constitution le silence équivoque qu’elle garde sur l’esclavage. Ils ne peuvent cependant l’en faire disparaître ni en interdire l’usage à leurs adversaires, à moins de l’avoir fait abroger eux-mêmes, suivant les formes légales, par une majorité qu’ils ne peuvent pas réunir. Il est trop commode de se faire aujourd’hui un rempart de la constitution contre la volonté

  1. La rupture fut votée peu de temps après par une forte majorité des deux chambres. M. Sumner et les auteurs de la mesure n’y voyaient qu’un expédient financier pour grossir le revenu ; ils se défendaient de tout dessein hostile et de toute arrière-pensée d’annexion. Au printemps de 1865, la convention internationale de Détroit, en émettant des vœux pour la reprise des anciennes relations commerciales, a témoigné une fois de plus de la solidarité d’intérêts qui règne entre les deux peuples. Tout donne à croire que les hauts tarifs ne seront maintenus qu’autant que durera la nécessité financière qui les a fait adopter, et que les États-Unis n’en veulent pas faire une arme de guerre contre la nationalité canadienne. Malgré les menaces et les rassemblemens armés des Irlandais fenians sur la frontière, le Canada peut dormir tranquille : son autonomie n’est pas encore sérieusement menacée. Elle le serait le jour où les États-Unis voudraient faire de leur puissance commerciale un moyen de conquête et bloquer systématiquement leurs voisins derrière la frontière des lacs.