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pour le donner à un autre. Le choix de celui auquel était réservé le trône de Naples fut singulièrement hardi : on espéra, en l’offrant au marquis de Pescara, priver du même coup l’empereur du plus habile de ses généraux et placer à la tête de la ligue italienne un chef capable de la bien conduire et intéressé à la faire triompher.

Fernand d’Avalos, Espagnol par le sang, était Italien par la naissance. Ses ancêtres étaient venus avec les princes de la maison d’Aragon dans le royaume des Deux-Siciles et s’y étaient établis. Dès sa jeunesse, il avait pris part à toutes les guerres, et il était devenu un capitaine accompli. Les succès qu’avaient obtenus les impériaux depuis quatre années étaient dus surtout à son audace et à son habileté. À la sûreté de vue qui fait entreprendre, il joignait la hardiesse d’exécution qui fait réussir. La prise de Milan en 1521, les défaites successives des Français en Lombardie, la victoire de Pavie, pouvaient lui être attribuées, et il ne manquait pas d’en revendiquer la gloire. Jusque-là les grands services qu’il avait rendus étaient restés sans autre récompense que des louanges stériles. Le fier sentiment de ce qu’il était et de ce qu’il valait lui avait fait quitter un moment l’armée dans les derniers jours de la vie de Prospero Golonna, à qui Fernand d’Avalos ne supportait pas d’être soumis. L’offensant oubli où il avait été laissé après la dernière campagne et la translation du roi de France en Espagne ordonnée par Lannoy tout seul l’avaient profondément blessé. Il avait fait entendre de hautaines et amères paroles. L’éclat de son irritation et les plaintes de son orgueil firent croire qu’il se détacherait aisément de l’empereur, et qu’on gagnerait à la cause italienne cet Italien en l’attirant par l’appât d’une couronne et la satisfaction d’une vengeance.

L’insinuant Morone fut chargé de sonder Pescara et de lui offrir ce qu’il n’aurait jamais osé ambitionner. Il lui parla des sujets qu’il avait d’être mécontent, l’entretint des agitations de l’Italie, et lui demanda ce qu’il en pensait. Pescara convint que l’union des états italiens et de la France serait fort dangereuse pour l’empereur, et qu’elle pourrait bien lui faire perdre le royaume de Naples. — « Et si cela était, ajouta Morone, à qui le donnerait-on ? — Je ne sais, répondit Pescara ; mais on trouverait bien qui l’accepterait. — Ce serait peut-être votre excellence qui l’aurait, continua Morone en souriant, si toutefois cela lui convenait. » Après cette insinuation, Morone s’arrêta et ne poussa pas l’entretien plus loin[1].

  1. Lettre de Pescara à Charles-Quint du 30 juillet. — Archives impériales et royales de Vienne. — « Esame di Girolamo Morone in prigiono del marchese di Pescara, nel castello di Pavia a’ 25 ottobre 1525. » — Ricordi inediti di Girolamo Morone, publicati dal C. Tullio Dandolo ; Milano 1855, in-8o, p. 148 à 170.