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Petropavlovsk. Le seul commerce d’exportation qui existe est celui de la viande salée. Les flottes sont par conséquent assurées de trouver les articles de première nécessité, et le cabinet de Saint-Pétersbourg a donc tous les moyens d’exécution ostensibles ou clandestins pour créer dans ces parages une base d’action maritime en compensation de celle qu’il a perdue dans la Mer-Noire.

On a essayé plus d’une fois d’expliquer et de justifier l’occupation des pays de l’Amour par la nécessité à laquelle se trouve réduit le gouvernement du tsar d’assurer à ses sujets des provinces sibériennes des débouchés vers la mer, la Chine, le Japon et la Californie. Le prétexte peut être spécieux et n’est pas sans analogie avec cette théorie du « droit à la mer, » invoquée récemment par des publicistes allemands à propos de l’invasion du Danemark. Par malheur il semblera difficilement admissible à quiconque connaît le système et les tendances du gouvernement de Pétersbourg, lequel ne se préoccupe certainement pas outre mesure de cette nécessité de stimuler le progrès de la colonisation, l’essor de l’industrie, le développement du commerce de la Sibérie, qui verrait plutôt des dangers dans cette transformation. Il faut être un peu neuf dans ces matières pour supposer que la politique des tsars ira de propos délibéré favoriser l’importation d’idées nouvelles et de l’esprit de liberté dans ces régions où elle envoie les condamnés, qu’elle ouvrira des ports et rendra plus accessibles à l’étranger ces pays séparés de la métropole par la chaîne de l’Oural, préparant ainsi l’émancipation plus ou moins lointaine de ces contrées. Les hommes d’état russes n’ont pas de ces naïvetés ou, si l’on veut, de ces préoccupations tout européennes. Ils savent bien, car les lumières ne leur manquent pas, que, fécondée par les cendres de milliers de proscrits, la Sibérie porte en elle-même le germe et les conditions de l’indépendance, et que, relevée de sa situation actuelle par le contact habituel d’hommes libres, elle ne tarderait peut-être pas à briser le lien qui l’attache de loin au palais d’Hiver de la Neva. Cette probabilité, cette possibilité tout au moins, de la séparation de la Sibérie est parfaitement comprise à Pétersbourg, et tout accroissement de la prospérité de ce pays qui ne tournerait pas au profit des ressources militaires de l’empire est envisagé par les hommes d’état moscovites comme une menace et un danger à prévenir. Au fond, la politique russe, en prenant pied dans l’extrême Orient, en y étendant ses possessions et en consolidant sa domination, n’a songé qu’à se créer des forces propres à lui permettre de peser un jour d’un poids plus décisif et plus efficace sur toutes les questions pendantes dans le monde. Pour se convaincre de ceci, il suffit de considérer le système de colonisation toute militaire