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une explosion de méfiance et d’animadversion ; peu s’en fallut que l’on ne vit en Mouraviev le premier, le principal séparatiste de la Sibérie, et par le fait on lui adressa une mercuriale sévère pour avoir osé se mêler d’une question qui ne le regardait pas. Cela ne suffit pas d’ailleurs aux rancunes que le gouverneur de la Sibérie avait soulevées. Suspect depuis ce moment jusque dans ses succès, contrarié dans toutes ses résolutions, exposé à des chicanes sans nombre, il finit par demander à être rappelé d’un poste qu’il ne pouvait plus occuper dignement, et à quitter une province que son habileté et son énergie avaient donnée à la Russie. Sa démission fut acceptée en 1860, et le général s’éloigna de ce pays de l’Amour dont le sort l’intéressait vivement, où il avait obtenu une popularité méritée. Disgracié peut-être pour toujours, le comte Mouraviev-Amourski s’est vu réduit à s’exiler complètement des affaires, et, si nous ne nous trompons, vit aujourd’hui tranquillement à Paris.

Bien évidemment ce système, — avec les préoccupations, les craintes, les habitudes qu’il entraîne, — ne peut que paralyser l’essor de la colonisation sibérienne, et l’effet qu’il produit sur les possessions européennes de la Russie, il doit le produire également sur l’Amour et vers l’Océan-Pacifique. Le fait est que ces contrées, si richement dotées par la nature, voisines immédiates des marchés de la Chine et placées de façon à prendre un développement aussi brillant que rapide, sont restées jusqu’ici complètement improductives. Le budget de la Russie pourvoit à toutes les dépenses de colonisation, d’armement, — sans que cet immense pays de l’Amour y contribue en rien. Le cabinet de Saint-Pétersbourg sait bien quelles lourdes charges lui impose une telle situation ; mais, plutôt que de renoncer à ses plans, à ses rêves de domination, il aime mieux encore recourir à tous les expédiens financiers et multiplier les sacrifices. Ces sacrifices sont réellement énormes. Sans doute ils ont été forcément ralentis dans ces dernières années par les frais extraordinaires de la guerre de Pologne et aussi sous l’influence d’une crise financière qu’on essaie vainement de pallier. Ces circonstances ont, pour un instant, empêché le gouvernement russe de poursuivre aussi énergiquement qu’il l’aurait désiré l’exécution de ses projets favoris du côté du Pacifique. Le budget de la marine reste néanmoins sous le poids de dépenses considérables et croissantes, d’autant plus considérables que, pour la Russie, il ne s’agit de rien moins que d’avoir à Vladi-Vostok une flotte composée de deux divisions toujours prêtes à appareiller sur un signe du télégraphe, quand ce fameux télégraphe, auquel on travaille toujours, sera construit. L’une de ces divisions, dite défensive, formée de monitors et de canonnières cuirassées, serait