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à la généreuse inutilité du bon vieux temps ; elle haïssait l’argent et le travail productif ; tout l’or du Pérou ne l’eût pas décidée à subir une atteinte à la moindre des croyances, au moindre des préjugés qu’elle avait reçus de ses pères ; bref, elle était tout à fait telle que vous seul savez les faire, chimérique et adorable. Et quand déjà le cloître l’avait recueillie et lui donnait l’asile suprême qui lui convenait, loin du siècle et de ses marteaux, vous êtes allé l’arracher à l’église et à Dieu, pour la jeter dans les bras de ce forgeron de Morel ! Blanche de Guy-Châtel reniant l’idéal ! jamais le tu quoque n’aura été plus à sa place. De toutes les victoires que l’économie politique, armée du code de commerce, a remportées depuis quelques années dans le domaine des lettres et ailleurs, la plus étonnante, la plus inattendue, est certainement celle qui a mis à ses pieds, avec Blanche de Guy-Châtel, Marguerite, Bellah, Sabine et Mme de Palme. À Dieu ne plaise qu’en signalant ce caractère trop peu remarqué d’une œuvre où M. Octave Feuillet a mis d’ailleurs beaucoup plus qu’on ne le croit et qu’on ne l’a dit des séductions ordinaires de son talent, nous prétendions ranger la Belle au bois dormant dans le groupe des comédies brutales ; autant vaudrait marier le Turc et Venise. Rien ne jure plus que le caractère et le tempérament de M. Feuillet avec les peintures à la mode. L’auteur de la Belle au bois dormant garde sa place à part ; mais, dans la place écartée où il se tient, les préoccupations qui dominent le théâtre contemporain sont venues le chercher, et notre devoir d’historien était de relever dans le dénoûment de sa pièce un spécimen curieux des influences qui envahissent, sans qu’ils s’en doutent, les esprits les plus élevés et les plus droits.

Faut-il cependant exagérer la portée de ces influences ? Chacun des amis de l’art délicat nous opposerait à l’instant le nom de M. Octave Feuillet lui-même. Il serait injuste de méconnaître qu’il reste des écrivains qui soignent patiemment leur talent et lui interdisent les victoires faciles, achetées au prix du scandale, comme il en est d’autres qui, s’ils s’engagent en quelque tentative hardie et contestable, n’y sont du moins poussés que par une témérité d’artiste désintéressé. Sans parler de telle comédie de mœurs ou de caractère qui, malgré la tristesse du sujet, eût mérité d’être mieux accueillie du public lettré, quelques-unes des meilleures traditions de notre scène se retrouvent en d’agréables tableaux de genre, tels que le Second mouvement, de M. E. Pailleron, et les Révoltées, de M. Gondinet ; c’est l’esprit aisé et inventif de Scribe, c’est la verve et la bonhomie de Picard, avec le don des vers en plus. Qui ne se sent rafraîchi lorsqu’il passe des duretés ordinaires de nos comédies à ces légères satires des communes faiblesses du cœur