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les moralistes de l’heure présente. C’est de la vertu légale, précise et concrète qui ne vaut pas mieux, qui vaut beaucoup moins que le genre de vertu trop éthérée et trop en essence où les poètes de la génération de 1830 prétendaient hausser les âmes à travers toutes les violations possibles du code pénal. Je ne hais pas le code, j’aime surtout un code moral ; mais je ne l’aime que vivifié par les sentimens nobles et délicats. S’il fallait à toute force choisir entre le mysticisme romanesque d’autrefois, qui nous égarait si terriblement hors des sentiers réguliers de ce monde, — et la vertu selon le codé, la vertu qu’on se démontre à soi-même par formule algébrique, — mon choix serait fait. Il y a dans l’un la foi sans les œuvres, il y a dans l’autre les œuvres sans la foi, et ce n’est pas seulement la théologie qui a raison de mettre la foi au-dessus des œuvres, et de juger l’action de la grâce supérieure à l’action de la loi.

Au fond de la morale, un peu trop pratique, dont le Supplice d’une femme nous recommande la stricte observation, au fond des scènes de satire violente que nous retracent M. Sardou et les auteurs dramatiques de son école, au fond de l’art tel qu’on l’entend et qu’on le pratique actuellement, on trouverait un même phénomène qui est le fait saillant de l’histoire de notre société depuis quinze ans : le développement outré de l’esprit positiviste ; Dureté des cœurs, brutalité des mœurs et des œuvres de l’imagination, rétrécissement des idées philosophiques, vulgarité des maximes morales, tout nous vient de là et tout nous y ramène. Le romanesque et le chimérique (et qu’est-ce que la vie sans un peu de chimère et de roman ?) ont fui pour ne plus laisser derrière eux que le respect superstitieux des réalités tangibles et des nécessités palpables. On surprend partout la trace de ce triomphe trop complet de la sagesse positive sur la poésie. Et cette année même, pourquoi ne le dirions-nous pas ? le dernier des chantres de l’idéal, le plus fidèle jusqu’ici aux dieux vaincus, le plus populaire et le plus aimé parmi les écrivains qui savent encore de temps à autre faire descendre le ciel sur la terre, M. Octave Feuillet, n’a-t-il pas trop rendu les armes à l’esprit impérieux du jour ? O vous qui nous confiiez naguère, au milieu de tant de larmes, le Roman d’un jeune homme pauvre, qu’avez-vous fait sous ce titre séduisant, la Belle au bois dormant, si ce n’est transporter à votre tour au théâtre le panégyrique du jeune homme riche et du jeune homme pratique, auquel appartient désormais le globe ? Eh quoi ! il y avait quelque part, dans le monde enchanté de votre imagination, une sœur jeune et brillante de Maxime de Champcey et de Mlle de Porhoët. Fière et chaste fille de la Bretagne expirante, elle n’aimait que l’honneur et l’orgueil de son nom ; elle appartenait tout entière à ses hymnes, à ses aumônes, à ses ballades,