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meurtre mis en honneur, — le devoir de verser le sang pour devenir un homme, — mille autres traits de cette société anarchique et violente dépeints avec une saisissante énergie me faisaient comprendre la brutalité sanguinaire des hordes du Missouri ou du Texas. Telles sont les mœurs féroces qu’engendre l’humaine institution de la servitude. Ce sont là les hommes qui enferment les prisonniers fédéraux dans des cloaques, sans abri, sans vêtemens, sans feu, sans pain, pour les y laisser pourrir comme un troupeau de chiens galeux, leur permettant à peine d’enterrer leurs morts et s’exerçant avec un plaisir sauvage à abattre des Yankees. Ce sont les hommes qui dans l’ouest ont fusillé par plaisir des populations entières et emporté les scalpes en trophées, ne laissant plus que des cadavres mutilés au milieu des villages en flammes ; les hommes qui au Kentucky, au Tennessee, dans tous les border-states, ont pendu les patriotes pour intimider le parti de l’Union, et aujourd’hui même assassinant sous prétexte de rétaliation tous les anciens soldats qui tombent dans leurs mains. C’est le même esprit enfin qui anime les chefs du gouvernement rebelle lorsqu’ils encouragent, qu’ils ordonnent ces atrocités, et qu’ils ont encore l’audace de se plaindre si le gouvernement des États-Unis, en représaille timide, retire à ses prisonniers le sucre et le café, ou refuse de leur fournir des couvertures à moins que l’ennemi lui-même n’offre de les payer !

La conversation, promenée d’abord en digressions capricieuses, roula ensuite sur le grand, l’unique sujet qui absorbe ici toutes les pensées, sur la question fondamentale et toujours discutée du prétendu droit des rebelles à la sécession. Là encore ce fut la voix de M. Kennedy qui domina les nôtres. Sa parole lucide, passionnée, éloquente, portait l’intérêt et la vie dans cette scolastique étroite et subtile de la science constitutionnelle. Je ne vous répète pas ses conclusions, qui sont aussi les miennes ; mais jamais dans cette question tant rebattue je n’ai vu la vérité plus claire, plus lumineuse et plus forte. M. Morris, qui ne se rendait qu’à contre-cœur et qui reprochait à M. Kennedy sa trop grande vivacité, me disait en sortant de là : « Violent comme vous le voyez, c’est le plus bienveillant et le plus généreux des hommes. Il n’a pas l’ombre de rancune personnelle pour ces coupables qu’il dénonce à la colère publique. » M. Eaton aussi, en me parlant de la mauvaise santé de son ami et des craintes qu’elle lui avait plus d’une fois inspirées, rendait hommage à cette générosité si peu commune chez les hommes convaincus et passionnés. — « Chaque fois, me disait-il, qu’un rebelle a besoin d’un protecteur, soit pour sa liberté menacée, soit pour ses intérêts en souffrance, soit même pour obtenir une faveur du gouvernement contre lequel il conspire, il