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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/839

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Des femmes. Comment se fait-il que jusqu’à ce jour aucun dessein militaire n’ait pu rester secret une semaine ? Quelle oreille le sud a-t-il dans ces conseils privés de la guerre où quelques chefs seuls assistèrent en compagnie du ministre et du président ? Où est donc l’espion subtil et insaisissable qui se glisse invisible au milieu d’eux ? C’est la femme, souvent sécessionniste, qui cueille encore une fois et leur fait manger la pomme d’Eve pour dérober la science mystérieuse. Pas une famille de Baltimore qui n’ait quelque parent ou quelque intime ami au service des rebelles ! « Mon frère qui est dans l’armée du sud, — mon frère qui est dans la marine, dans celle du sud, of course[1], » voilà ce que bavardent les petites demoiselles avec qui je dansais hier. On leur apprend le respect de l’esclavage avec l’amour de Dieu et la haine de l’Union avec l’horreur du diable. Quel autre gouvernement ne perdrait pas patience sous ces piqûres d’épingles empoisonnées, et n’enverrait de temps en temps quelques-unes de ces brebis enragées exercer sur un plus grand théâtre leurs vertus patriotiques ? Le serment de fidélité même, cette mesure oppressive et révolutionnaire, est excusable en face de cette guerre civile de détail et de cette trahison quotidienne. Rappelez-vous les procédés de la convention nationale en face d’un ennemi bien plus faible et bien plus innocent, les échafauds dressés pour les suspects, les listes des têtes proscrites envoyées à l’abattoir, enfin l’odieuse brutalité du peuple le plus poli du monde contre des victimes suppliantes, et vous vous prendrez à estimer ce Yankee mal élevé, qui ne se pique pas de belles manières, mais sait si bien tempérer sa légitime vengeance et montrer sans ostentation tant d’humanité aux vaincus.

Je voudrais vous parler de la grande nouvelle du jour, la paix, ou du moins les négociations pacifiques, la mission de M. Stephens, envoyé en ambassade au président Davis par le président Lincoln, le départ pour Fortress-Monroë de M. Seward, allant à sa rencontre, le départ enfin du président lui-même par un train spécial, l’empressement des deux gouvernemens à se faire visite et la question de savoir s’ils vont se donner le baiser de paix ; mais tout en bavardant je me laisse dépasser par l’heure. Je prends donc congé de Baltimore, de M. Eaton, qui déjà me prenait en amitié et qui me dit en me serrant la main : God bless you ! Je boucle ma malle à la hâte, et je cours au chemin de fer de Philadelphie.


Philadelphie, 3 février.

Laissez-moi maudire une dernière fois les chemins de fer américains. Je suis arrivé cette nuit de Baltimore ; jamais wagon ne

  1. Of course, naturellement, comme de raison.