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rendit, non sans lenteur et sans péril, d’abord à Blois, puis à Amboise, où étaient les enfans de France[1]. Dans l’alternative laissée par le traité de Madrid de livrer comme otages ou le dauphin et douze des principaux personnages du royaume, parmi lesquels étaient le duc de Vendôme, le duc d’Albany, le comte de Saint-Pol, le maréchal de Lautrec, le maréchal de Montmorency, le comte de Guise, le grand-sénéchal de Normandie, Chabot de Brion, le seigneur de Laval de Bretagne, bref tous ceux qui avaient survécu au désastre de Pavie et qui étaient capables de défendre le pays, ou bien de remettre les deux fils aînés du roi, elle choisit, d’accord avec son conseil, ce dernier parti. Par un sacrifice qui coûtait à son affection, mais qui pouvait tourner à l’avantage du royaume, elle se décida à donner en otage un de ses petits-fils de plus et à conserver en France ceux qui restaient les derniers soutiens de l’état. Prenant avec elle le dauphin, âgé de huit ans et demi, et le duc d’Orléans, qui allait atteindre sa septième année, elle ne laissa dans le royaume que le duc d’Angoulême, beaucoup plus jeune que ses frères. Quoique tourmentée par la goutte, elle s’achemina vers Bayonne avec ses deux petits-fils, réservés à la plus attristante captivité. L’ambassadeur d’Angleterre, qui les vit à Amboise, écrivit au cardinal Wolsey : « Tous deux m’embrassèrent, me prirent par la main et me demandèrent des nouvelles de l’altesse du roi et de votre grâce, en me témoignant le désir d’être recommandés au roi et à vous dans mes lettres. En vérité, ce sont deux charmans enfans ; le filleul du roi (le duc d’Orléans, qui régna après son père sous le nom de Henri II) est d’un esprit plus vif et plus hardi, à ce qu’il me semble[2]. » Ces aimables et pauvres enfans allaient être conduits au-delà des Pyrénées, bientôt séparés de leurs serviteurs, enfermés dans le château de Pedraza au milieu des montagnes, sous la garde de quelques grossiers soldats de don Juan de Tovar, marquis de Verlanga, fils du connétable de Castille, privés presque de lumière et d’air autant que de liberté, laissés dans un indigne dénûment, avec des vêtemens usés, un petit chien pour toute compagnie, sans qu’il leur parvînt, pendant plus de trois années de guerre, aucun souvenir de leur famille, sans qu’ils entendissent

  1. Lettre du docteur Taylor au cardinal Wolsey. Ms. Calig. D. 9, p. 153 ; et dans Sharon Turner, t. II, p. 3, notes 8 et 9.
  2. « And after dinner I was brought to see the dauphin, and his brother Harry ; both did embrace me, and took me by the hand, and asked me of the wetfare of the king’s higness, and your grace, and desired that in my writing I should truly commend them to the king and your grace. Verely they be too goodly children. The king’s godson is the quicker spirit and the bolder, as seemeth by bis behaviour. » Lettre du Dr Taylor au cardinal Wolsey. Ms. Calig. D. 9, p. 153 ; et dans Sharon Turner, t ; II, p. 4, note 10.