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des produits du sol y luttent contre l’envahissement de la misère ; ce qui leur manque, c’est la sécurité dans le travail.

Les diverses autorités attendaient la contre-guérilla à son entrée, et réclamèrent hautement de la France le secours de ses soldats pour ramener la paix ; leur voix suppliante était pleine de tristesse : c’est que le voisinage de San-Carlos, qui les dépouille sans relâche, les glace de terreur. Mais est-il possible de laisser un petit détachement français à pareille distance de Vittoria, sur ce point presque perdu dans la solitude ? C’est vouer d’avance les contre-guérillas au massacre et à la famine. Et pourtant un appui serait utile pour sauver du banditisme ce petit centre isolé qui ne veut pas mourir ; nous ne pouvons donner que des armes aux habitans qui auront l’énergie de s’en servir ; puis demain viendra la guérilla ! Si elle est vaincue, après-demain elle reviendra plus forte encore, toujours grossissant jusqu’à l’heure où les défenseurs de la ville auront succombé. Leur cri d’agonie se perdra dans l’espace, et les autres habitans, désormais sans force pour sauver leur vie, courberont de nouveau la tête ; c’est en pareil cas que se trahissait notre impuissance dans la lutte mexicaine, car nous ne pouvions réellement opposer le remède au mal.

A la sortie de Ximenès, que nous avions quitté de grand matin pour couper en deux l’étape, trop pénible aux attelages de bœufs, une chute d’eau bien aménagée met en mouvement un moulin à farine : c’est le premier que nous rencontrons dans le Tamaulipas. En pareil pays, cet essai industriel a sa valeur et sa signification. A une heure de la ville coule un petit ruisseau, le Rio-Salado, en temps ordinaire profond de 50 centimètres et large de 2 mètres. C’était maintenant un fleuve. Tout le sol voisin était détrempé, les roues des canons enfonçaient jusqu’au moyeu ; il fallut faire demi-tour, et ce ne fut qu’au bout de trois jours qu’on put gagner Marquesote, cinq lieues plus loin. Marquesote est un pueblo (village) de peu de ressources ; mais à partir de ce point jusqu’à Vittoria les cases sont moins disséminées. Tous les 10 ou 15 kilomètres le long de la route, on trouve quelques feux, jusqu’au Pilon, qui coule au pied de l’hacienda de San-Antonio, la résidence actuelle de la sœur de La Serna. Jusqu’à ce moment, nous avions surmonté tous les obstacles ; mais cette fois il fallut s’armer de résignation et devenir ingénieux.

Le Pilon avait 30 pieds de profondeur sur 50 mètres de largeur. Ce n’était plus un torrent, c’était une débâcle, un tourbillon, un gouffre où s’engloutissaient des arbres entiers. Nous ne pouvions songer à rétrograder, et pourtant l’hacienda était vide de provisions ; il fallait passer. Deux canots en troncs mal équarris, sans