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question se posait assez nettement déjà pour ne pouvoir être éludée : aujourd’hui elle est résolue. Après avoir un moment réalisé dans le Liban l’idéal du système anti-turc, Davoud-Pacha lui-même n’a pu tenir bon jusqu’à la fin contre la redoutable pression à laquelle se trouve fatalement soumis un simple gouverneur nommé par la Porte, dépendant pécuniairement et militairement de la Porte, n’attendant récompense pour ses services que de la Porte. Les plus exceptionnelles garanties de caractère et de situation ne sauraient décidément suppléer sur ces points essentiels à la force de résistance que les pires chefs indigènes puisaient au contact du sol natal. On peut dire de ces chefs, quant au principe national, ce qu’on a dit des mauvais papes quant à la vérité catholique : aucun d’eux n’a altéré le dogme. On dira au contraire, nous le craignons bien, et si l’on n’y avise à temps, on dira du plus intelligent, du plus désintéressé, du moins turc des fonctionnaires chrétiens dont la Porte pût se servir pour faire passer l’escamotage de l’indigénat, que les gages très sérieux donnés par ce fonctionnaire aux aspirations libanaises ont servi de passeport à l’escamotage de l’autonomie.

Précisons. Ce qu’il faut bien appeler l’intrigue turque a fait depuis les derniers mois de 1865 dans la montagne des progrès où il est impossible de méconnaître le concours au moins passif, parfois même l’initiative de Davoud-Pacha. Un simple rapprochement dira tout le chemin parcouru. En 1862, Davoud-Pacha débarrassait le Liban mixte des troupes ottomanes qu’il y avait trouvées, et qu’il avait mille prétextes spécieux, mille raisons légales d’y maintenir. En 1866, il appelait ces troupes dans la partie du Liban maronite où, même aux plus sinistres époques, elles n’avaient jamais pénétré, et il déployait dans sa mise en scène d’invasion un tel étalage de grands moyens, un tel parti-pris de profiter de l’occasion, qu’il obtenait de Constantinople, avec l’envoi d’une véritable armée, ce singulier brevet de zèle turc : l’envoi d’instructions conciliantes ! — Sur le théâtre même de cette tragique comédie, le contraste est plus significatif encore. En 1862, Davoud-Pacha achevait de se populariser en reculant systématiquement devant l’émeute de Gazir