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plutôt que d’employer contre elle la seule force dont il disposait alors, les bataillons turcs que l’autorité de Beyrout mettait avec un empressement bien naturel à sa disposition. Pour expliquer sa répugnance, il avait même, longtemps après, un mot à effet qu’il plaçait à la moindre occasion, et qui perd à ne pouvoir être rendu ici dans son énergie familière : « avec… vos Turcs, vous nous guéririez de la maladie ; mais qui nous guérirait ensuite de la maladie du remède ? » — En 1866, on peut tout au moins l’accuser d’avoir exagéré la maladie pour se ménager une large application du remède au profit de certain plan qui se résume en deux mots dont tous les initiés ne faisaient pas mystère : occupation et désarmement. Ce plan ressortira avec la dernière évidence des préliminaires de l’affaire de Gazir et surtout des gratuites provocations qui, la lutte véritablement terminée, sont venues la raviver avec un degré d’intensité qui a failli dépasser le but ; mais commençons par régler nos comptes avec le passé. Ce ne sera pas d’ailleurs s’éloigner de la question présente, car la responsabilité de Davoud-Pacha dans les derniers événemens découle ou s’aggrave des services mêmes qu’il a rendus. Le bien accompli dans ce sanglant chaos des districts mixtes par la simple répudiation de l’influence turque enlevait d’avance toute excuse aux craintes visiblement affectées d’abord, si habilement motivées ensuite, qui ont livré naguère corps et biens à cette influence la partie la plus homogène et la moins troublée de la montagne. C’est assez dire que nous éprouvons plus de regret que d’embarras à porter coup sur coup du gouverneur-général deux jugemens diamétralement opposés. Quelque pénibles déceptions qui en résultent, les contradictions de l’homme ne sont qu’une affirmation redoublée du principe. Pour tout compromettre et compliquer dans le Liban septentrional et malgré la différence radicale. des situations, Davoud-Pacha n’aura eu en effet qu’à prendre le contre-pied du système qui avait tout réparé dans le Liban, méridional.

On sait par quelle courageuse violation des clauses turques du règlement de 1861 et par quelle adroite affectation d’éloigner de sa personne les soldats turcs Davoud-Pacha était parvenu, dès son début dans le pays mixte, à transformer en neutralité réciproque, en bienveillante et curieuse attente, le menaçant qui-vive des populations. Voyons comment il utilisa ce revirement pour la pacification et l’organisation définitives.


I

Vers le milieu de 1863, un voyageur passant près de la bourgade libanaise de Chouêfet, dont la population mi-partie druse et