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Piémont et le Napolitain devient une inégalité au détriment du pauvre, et c’est ainsi que ces provinces ont pu se sentir atteintes dans leurs intérêts. De plus, le mal, le grand mal à Naples, ce n’était pas l’absence de bonnes lois, c’était la complète et systématique inexécution des lois qui existaient, et qui étaient en réalité, avec certaines lois toscanes, les meilleures de l’Italie. Dès lors le remplacement de ces lois par la législation piémontaise devenait une blessure d’amour-propre local. Enfin il n’est pas jusqu’à la politique suivie à l’égard du clergé qui n’ait produit des froissemens par suite de circonstances particulières. Les provinces napolitaines sont dans des conditions qui ne se retrouvent point ailleurs. Le clergé est là beaucoup plus mêlé au peuple ; bien des familles pauvres comptent un prêtre ou un moine. Ce qui atteignait le moine ou le prêtre atteignait la famille, et de là un nouveau froissement ajouté à tous les autres. Cela veut-il dire que le sentiment vrai qui règne à Naples soit l’hostilité, et que la guerre elle-même puisse déterminer une crise sérieuse ? Il y aura peut-être une recrudescence de brigandage. Je doute que le roi François II, dans la situation diminuée qu’il s’est faite, puisse obtenir rien de plus. Au fond, l’esprit napolitain est frondeur, mécontent, prompt à s’exalter ; il n’est point ennemi, et ce qu’il désire le moins surtout, c’est une restauration du passé.

Le Piémont lui-même, d’un autre côté, n’a-t-il pas eu ses froissemens ? C’est le Piémont qui a fait l’unité, voilà qui est bien certain. Il a donné à l’Italie tout ce qu’il pouvait lui donner, une armée, la liberté et le roi. C’est la vigoureuse discipline piémontaise qui a été la force, la sauvegarde de la révolution italienne. Une certaine initiative n’était pas seulement le droit de cet énergique petit pays, c’était la garantie de l’Italie. Le Piémont savait bien que le temps de son hégémonie était passé, qu’il n’était plus qu’une province du royaume qui était son œuvre, et que le moment viendrait où on dirait : Finis Taurini ! comme on avait dit déjà : Finis Piedimonti ! à l’époque où la France arrivait sur les Alpes et où l’unité avait fait sa première apparition ; mais il ne se croyait pas si près du jour où il verrait la maison de Savoie quitter Turin, et il ne croyait pas surtout qu’en partant de Turin elle s’arrêterait à Florence. Ce jour-là a vu peut-être la crise la plus terrible de l’unité italienne, la seule qui ait coûté du sang à Turin. Ceux qui avaient souscrit à la convention du 15 septembre et à sa condition première en avaient eux-mêmes le sentiment. J’ai entendu raconter qu’un des ministres, au moment de signer la mesure qui allait déposséder Turin de son titre de capitale, s’était arrêté songeur et inquiet, et comme on lui demandait ce qui le préoccupait, il répondit : « Je songe qu’en ce moment nous sacrifions le pays sans lequel l’Italie n’existerait pas