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et nous ne serions pas ici » » C’était peut-être une nécessité politique, une nécessité de défense militaire depuis que la France était sur les Alpes et que Turin restait en face de la Lombardie ouverte, une nécessité de gouvernement pour satisfaire l’esprit italien et rendre l’unité plus irrévocable ; mais le Piémont a gardé certainement la blessure. Sans cesser d’être italien, il s’est retiré dans son mécontentement ; il n’a pu même pardonner à ceux qui avaient signé ou approuvé le changement de capitale. Ses députés ont formé une sorte de groupe à part ayant sa politique et souvent embarrassant par son attitude, de telle sorte qu’au midi comme au nord, dans le Piémont et à Naples, l’unité n’en est plus à rencontrer de sérieuses épreuves, où se laisse entrevoir comme un éclair des vieux antagonismes.

Des difficultés, il y en a donc : elles sont de toute sorte, politiques aussi bien que financières et administratives. Elles forment une sorte de tourbillon à la surface de l’Italie. J’ajoute qu’elles se proportionnent à une certaine situation, et que si beaucoup ne peuvent être évitées, elles doivent souvent une partie de leur gravité ou une partie du bruit qu’elles font à quelques circonstances qui sont un trait caractéristique de plus, aux conditions mêmes dans lesquelles s’accomplit la révolution italienne. La première de ces circonstances peut-être, c’est l’absence d’hommes faits pour organiser et conduire une révolution. Vous souvenez-vous d’un mot de Joseph de Maistre ? « Le diamètre du Piémont, disait un jour cet étonnant esprit, n’est point en rapport avec la grandeur et la noblesse de la maison de Savoie. » Il en a été de même à un certain moment du Piémont constitutionnel. Le diamètre de ce petit pays n’était point en rapport avec sa politique libérale et nationale. On pourrait reprendre le mot, et dire dans un autre sens que les hommes d’aujourd’hui ne sont pas toujours en rapport avec le diamètre de l’Italie. On dirait que, nés et formés dans de tout autres conditions, ils n’ont pas eu le temps de s’élever ou de s’assouplir à ce rôle d’hommes d’état italiens. Ils ont la conception idéale de la patrie, ils en ont moins le sens pratique et politique. Je ne veux point assurer, comme le faisait récemment un écrivain dans une brochure, — Della presente mediocrita politica, — que le mal qui ronge l’Italie c’est la médiocrité, quoiqu’il soit bien vrai qu’il y ait eu dans ces derniers temps une certaine invasion de médiocrité. La vérité est qu’il y a aujourd’hui à Florence comme à Turin, comme à Naples, une multitude d’hommes distingués, fins, habiles, d’un esprit plein de ressources, de connaissances économiques et administratives fort étendues ; mais des chefs, des guides, c’est ce qui manque.