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souvenirs qui trouvaient encore à remuer plus d’une mauvaise fibre, la bienvenue dégénéra en ovations passablement alarmantes pour la population chrétienne. L’émir Mélehem Raslan ne lui laissa pas même le temps de se plaindre : il fit arrêter non pas ces Épiménides du massacre, qui ne saisissaient pas l’anachronisme, mais ceux de leurs parens et amis qui, en se prêtant aux manifestations dont il s’agit ; avaient sciemment méconnu le nouveau diapason de la politique druse. Inutile d’ajouter que le second détachement fit une rentrée beaucoup plus modeste.

L’œuvre d’apaisement était dès cette époque si avancée, que des marchands de Deir-el-Qamar, n’osant pas encore, devant les causes d’irritation entretenues par l’ajournement systématique des indemnités, demander la levée de l’interdit qui tenait à distance l’acheteur druse, allaient eux-mêmes le trouver. Plusieurs s’établissaient de l’autre côté du ravin, dans la petite ville de Badine, chef-lieu actuel du Xhouf, c’est-à-dire en plein foyer ennemi. A Deir-el-Qamar même, l’escorte mixte de Davoud-Pacha pouvait bientôt traverser la ville sans que l’émeute féminine triât au passage, pour les dénoncer et les maudire, les Druses qu’elle découvrait dans les rangs. L’hiver suivant (1863-64), c’était encore mieux. Le siége du gouvernement ayant été momentanément transféré de Beit-ed-Din à Sebnay, au pied de la chaîne, Deir-el-Qamar, que faisait vivre le personnel chrétien des administrations centrales, accepta sans trop murmurer et comme une sorte de compensation le noyau de milice indigène qui s’organisait à Beit-ed-Din, c’est-à-dire une garnison où les Druses figuraient pour près d’un tiers. Deux choses du reste avaient singulièrement facilité cette capitulation des rancunes locales devant l’intérêt matériel : la présence à la tête de la milice d’un officier détaché de l’armée française, et la certitude que cette création d’une force indigène déplaisait souverainement aux Turcs. Le règlement tel quel des indemnités mobilières de Deir-el-Qamar, dont la Porte avait jugé prudent de déblayer le terrain à la veille de nouvelles conférences sur la question du Liban, vint encore émousser l’une des plus dangereuses épines qui pussent ensanglanter le contact des deux races, non pas que ce règlement ne fût hérissé d’iniquités, mais du moins les intérêts lésés n’avaient plus à s’en prendre qu’aux Turcs et à leurs compères chrétiens. Si peu qu’il revînt de ces indemnités à la masse de la population, c’était assez pour que les Druses n’eussent plus à craindre qu’aux souvenirs évoqués par leur présence s’ajoutassent les brutales excitations de la faim. Au moment où la diplomatie révisait les institutions de 1861, le revirement était assez marqué déjà pour que Davoud-Pacha, en regagnant sa résidence de Beit-ed-Din, pût laisser à