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Deir-el-Qamar les divers services de l’administration centrale. L’unique précaution qu’il eut à prendre fut de les installer dans un quartier où les Druses pouvaient arriver sans avoir à traverser la ville. Une démarcation fictive, que. les convenances individuelles commençaient même à franchir, impunément, suffisait à donner satisfaction aux trop légitimes fureurs que la vue seule d’un Druse faisait naguère éclater en cris de mort.

Le difficile et l’essentiel était d’avoir écarté cette terrible liquidation des meurtres de 1860, qui, accomplis au nom des inimitiés de race, n’assignaient pour limite au droit de talion que l’extermination de l’une des deux races. Quant à la vendetta ordinaire, elle avait d’autant plus aisément abdiqué devant l’action de la loi qu’elle ne se considérait elle-même que comme une des formes de la loi, comme une sorte de tacites complément de l’ancienne organisation féodale, qui, en partageant chaque bourgade entre deux, trois, quatre patronages distincts, parfois même ennemis, aurait, dans la plupart des cas, rendu impossible toute répression judiciaire du meurtre. Le patronage arabe n’admet pas de restriction ; il lie par une solidarité absolue le patron et le protégé. Quand le meurtrier et le mort appartenaient à des milieux différens, le cheik ou l’émir dans le ressort duquel le crime s’était accompli n’aurait donc pu sévir sans s’attirer soit l’accusation d’abandonner les siens, soit une guerre de voisinage, selon que le coupable relevait, de lui ou d’une influence rivale. La coutume qui déférait le talion au plus proche parent, c’est-à-dire au procureur naturel du mort, venait fort à propos soustraire la juridiction féodale à cette alternative, et ce même bon sens libanais, qui avait su transformer en garantie d’ordre public une pratique justement considérée ailleurs comme le dernier terme du désordre ne la laissait jamais dégénérer en lutte héréditaire. Sauf de très rares exceptions devant lesquelles les influences locales sortaient de leur neutralité pour intervenir comme médiatrices, le premier acte de vendetta éteignait le procès aussi définitivement que l’aurait jadis éteint chez nous le duel judiciaire. Le grand inconvénient de ce mode de liquidation, c’est que, par une autre analogie avec le duel judiciaire, il n’avait pas moins de périls pour le créancier que pour le débiteur de la dette de sang. En dehors même du très judicieux calcul de l’homme de Chouêfet, c’est donc encore avec une véritable reconnaissance que les familles se voyaient enlever cet onéreux droit du talion.

Un autre mauvais côté de cette neutralité de l’autorité et de l’opinion entre les deux acteurs d’un drame de vendetta, c’était de fournir à l’occasion un masque légal au brigandage. Pour le meurtrier qui ne voulait pas ou n’obtenait pas de composition pécuniaire