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et les déprédations qu’ils exerçaient contre leurs voisins, Bengalis et Assamites, ont été, on va le voir, l’origine de la guerre qui se continue encore.

Avant d’aller plus loin, il est utile de dire ce qu’est le gouvernement intérieur du Bhotan. Par une coïncidence remarquable, on y retrouve la même dualité de pouvoirs qu’au Japon, à savoir un chef religieux, le dhurma rajah, et un chef temporel, le deb rajah. Le premier est supposé immortel ; autrement dit, dès qu’il meurt, il s’incarne, en vertu d’une métempsycose toute spéciale, en la personne d’un enfant nouveau-né. Il en résulte que ce souverain est presque toujours à l’état d’enfance et par conséquent dépourvu d’aucun pouvoir réel. Quant au deb, il est élu par un conseil composé des ministres et des principaux chefs du pays, et se trouve dans la dépendance de ceux qui l’ont proclamé. Au-dessous d’eux se tiennent deux penlows ou gouverneurs, l’un, le paro penlow, pour le Bhotan occidental, et l’autre, le tongso penlow, pour le Bhotan oriental. Au degré inférieur de la hiérarchie sont les jungpens ou commandans des forts. En réalité, le gouvernement effectif est exercé par les deux penlows ou plus exactement par celui des deux qui est le plus puissant. Ces chefs débutent en général par être simples soldats. Lorsqu’un homme, après avoir franchi d’un pas rapide les grades subalternes, exerce un certain ascendant sur son entourage, il tente une petite révolution au profit de son ambition. S’il réussit, il prend la place de penlow qu’il ambitionne, nomme un deb de sa façon, donne les commandemens inférieurs à ses partisans. Il règne alors jusqu’à ce qu’une autre révolution vienne le jeter à bas. Aussi l’on s’accorde à dire que dans ce pays il y a pour chaque emploi au moins deux titulaires, celui qui est en fonction et celui qui n’y est plus. Il est clair en somme que l’état véritable de la contrée est l’anarchie. Au fond, l’autorité du dhurma rajah et du deb rajah, ainsi que celle des penlows, ne s’étend pas loin. La contrée est divisée, principalement sur les frontières, entre une foule de petits chefs locaux qui sont maîtres dans leur forteresse, et ne tiennent compte des ordres du pouvoir central que juste autant qu’il leur convient de le faire. Il n’y a dans le Bhotan aucun homme qui puisse faire sentir son autorité au loin, et qui ait même la certitude de conserver son pouvoir pendant le laps d’une année. Du reste, il n’y a ni lois ni même d’usages qui en tiennent lieu. Celui qui commande exerce pour le moment à sa guise les droits de haute et de basse justice. Lorsque les Anglais voulaient obtenir satisfaction pour quelqu’une de ces violences que les gens de la montagne commettaient aux dépens de leurs sujets hindous, ils ne s’adressaient jamais qu’à un chef qui s’en était rendu coupable lui-même ou qui était impuissant à corriger les vrais coupables. Peut-être la