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vérité sur l’état intérieur du pays leur fut-elle cachée pendant longtemps par le caractère singulièrement dissimulé et les réponses évasives des gens auxquels ils avaient affaire. Autrement on ne comprendrait guère qu’ils eussent poursuivi avec insistance l’idée de conclure un traité avec de tels voisins et d’obtenir le redressement des offenses commises par une voie qui ne fût pas celle d’une répression énergique. L’histoire des relations entre les Bhotanèses et le gouvernement de l’Inde fera voir combien la diplomatie a été impuissante avec ces peuplades turbulentes. On reconnaîtra aussi que la guerre qui a éclaté en 1865 eût été tout autant justifiée quelques années plus tôt.


II

La compagnie des Indes n’eut longtemps aucun rapport avec les Bhotanèses, ou du moins elle n’en entendit parler que d’une façon indirecte. Il y a dans cette région de la péninsule un petit état indigène, du nom de Cooch-Behar, qui reconnaissait déjà au siècle dernier la suzeraineté britannique. On rapporte que les gens du Bhotan l’envahirent en 1772, et que le rajah du pays, dans sa détresse, fit un appel aux Anglais. Un officier de la compagnie accourut avec quatre compagnies de soldats indigènes (sepoys), expulsa les intrus, et les poursuivit jusque dans leurs montagnes, en leur infligeant une punition méritée. Cette rude leçon porta des fruits, car on n’entendit plus parler de brigandages pendant quelque temps. Dans le cours de cette expédition, le régent du Thibet s’était interposé en faveur des Bhotanèses, qu’il traitait de race rude et ignorante, mais à qui cependant il portait intérêt en raison de la communauté d’origine. Le gouverneur-général de l’Inde, qui était alors le fameux Warren Hastings, voulut, dans une pensée de propagande commerciale, profiter de cette occasion pour établir des relations avec le Thibet. Il envoya à la cour de Lassa deux ambassadeurs qui traversèrent le Bhotan pour se rendre à leur destination, et en étudièrent, chemin faisant, les habitans et les mœurs ; mais une guerre entre les Népaulèses et les Thibétains, soutenus par les Chinois, vint interrompre bientôt tout rapport entre les peuples de cette frontière.

En 1828, à la suite de la première guerre contre les Birmans, la compagnie annexait à son territoire la province d’Assam, qui depuis plusieurs années avait été ravagée et presque dépeuplée par les incursions, des peuplades voisines. La frontière anglaise se trouvait ainsi reportée jusqu’au pied des montagnes du Bhotan. Déjà les Assamites et les Bhotanèses étaient dans un continuel état d’hostilité, et ces derniers, abusant de leur supériorité physique sur