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les habitans de la vallée, s’étaient indûment approprié certaines portions de territoire d’où il ne paraissait point aisé de les déloger. Il y avait bien entre les deux peuples certaines conventions, mais des conventions d’un caractère assez indécis. Ainsi tel territoire appartenait aux Assamites depuis juillet jusqu’à novembre, et aux Bhotanèses pendant les huit autres mois de l’année. Sur un autre point, les Bhotanèses avaient pris l’engagement de solder un tribut annuel, payable en toisons, musc, étoffes et divers produits du pays, en compensation des terrains qu’ils s’étaient attribués. C’est avec cet enchevêtrement d’obligations respectives que les Anglais reçurent la nouvelle province qu’ils avaient arrachée à l’empire birman. Doit-on s’étonner qu’il ait surgi bientôt des difficultés ?

En outre des discussions interminables qu’engendrait chaque année l’évaluation arbitraire des objets livrés à titre de tribut, les habitans de la vallée du Burhampooter se plaignaient sans cesse des déprédations de leurs voisins. Ceux-ci venaient enlever dans la plaine des bestiaux, des éléphans, voire des paysans, qu’ils réduisaient en esclavage, et rentraient tout de suite dans leurs montagnes, où il était difficile de les retrouver. Lorsqu’on essayait d’obtenir la punition des maraudeurs, on s’adressait aux jungpens de la frontière, qui étaient le plus souvent complices des attentats et feignaient d’être sans pouvoir pour les prévenir ou les réprimer. Où il eût fallu une répression immédiate à main armée, la compagnie des Indes se contenta de parlementer. Elle résolut de traiter avec le gouvernement central du Bhotan, dans la persuasion que les deb et dhurma rajahs ne toléreraient pas ces infractions continuelles au droit des gens. Ces souverains, se disait-on, s’empresseraient d’y mettre bon ordre dès qu’ils en auraient connaissance. De fait, les commandans des forts de la frontière arrêtaient, paraît-il, les lettres qu’on leur remettait à destination de leurs chefs suprêmes et y répondaient eux-mêmes sans se donner la peine d’en référer au gouvernement central. On envoya donc le capitaine Pemberton en 1837, en qualité d’ambassadeur, pour fixer en un traité de paix les obligations respectives des deux états limitrophes. Cet officier fut bien accueilli, mais sa mission n’aboutit pas. Les Bhotanèses sont de vrais Chinois sous ce rapport : ils connaissent à merveille l’art de faire des réponses évasives, de montrer bon visage à leurs adversaires sans s’engager à rien, de faire attendre avec une promesse incertaine une solution définitive qu’ils ne veulent pas accorder. Les services diplomatiques sont, dit-on, chez eux un moyen plus prompt encore que les services militaires d’arriver aux positions élevées. On le comprend sans peine en voyant combien de temps leur finesse native a su retarder les mesures de rigueur auxquelles ils s’étaient exposés. On leur parlait de loi internationale, de devoirs