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principale de l’Himalaya court de l’est à l’ouest en cette partie de l’Asie ; par conséquent les chaînons secondaires qui s’en détachent, ainsi que les vallées qui les séparent, s’étendent du nord au sud. En partant de Darjeeling, qui est à l’extrémité occidentale du Bhotan, pour se rendre à Poonakha, la capitale du pays, à peu près au centre du territoire, la mission s’imposait la tâche de traverser à angle droit toutes les crêtes de ces montagnes. Le voyage eût été pénible en tout temps ; il l’était plus encore en hiver, attendu que les sommets étaient recouverts d’une épaisse couche de neige. D’autre part, il est vrai, l’été est une saison pluvieuse et malsaine pendant laquelle on ne se hasarderait point à entreprendre une excursion lointaine. M. Eden fut donc obligé de partir sans retard afin d’être de retour en temps convenable. C’était le 1er janvier 1864. La première difficulté fut de réunir le nombre de coulies nécessaire aux transports des vivres et bagages de cette petite expédition. Les indigènes du Népaul et du Sikim voulurent bien aller jusqu’à la frontière du Bhotan ; mais la plupart refusèrent de pénétrer dans cette contrée inconnue dont ils avaient peur. On en recruta quelques autres, qui s’enfuirent presque tous après deux ou trois journées de marche. Bref, M. Eden se vit dans l’alternative de renoncer à sa mission ou de s’avancer en moins nombreuse compagnie. C’est ce dernier parti qu’il adopta. L’escorte fut en partie congédiée : on n’en conserva que cinquante hommes, plus dix sapeurs, chargés de nettoyer la route en cas de besoin et de faire des ponts provisoires sur les rivières ; ce qui fut plus regrettable, on laissa en arrière les nombreux présens qui étaient destinés à adoucir l’humeur des chefs bhotanèses.

Il serait fastidieux de raconter toutes les péripéties de ce long voyage. Cependant les intentions malveillantes du gouvernement bhotanèse se dévoilaient de plus en plus. Non-seulement M. Eden n’avait reçu aucune réponse aux lettres qui avaient été écrites par lui et par le gouverneur-général avant son départ, mais encore il recueillait presque à chaque pas des preuves nombreuses que sa présence à Poonakha n’était pas désirée. Ainsi, chaque fois qu’il passait près d’un fort, le commandant disait n’avoir reçu aucun ordre, que les usages du pays s’opposaient à ce que des étrangers pénétrassent dans l’intérieur, qu’il était impossible de fournir à la mission ni coulies, ni vivres, ni guides. « Mais, objectait M. Eden, prenez-vous la responsabilité de me faire retourner en arrière ? — Nullement, répondait le jungpen ; attendez seulement que j’aie eu le temps de prendre les ordres du deb rajah. » Ce n’est pas tout. Les Anglais rencontrèrent en chemin des messagers envoyés aux autorités de la frontière et porteurs d’une défense d’admettre la mission sur le territoire du Bhotan. Cet ordre, sans doute expédié